Je l'avoue, l'image des sikhs n'est pas très bonne, et leurs convictions religieuses sont difficiles à comprendre pour des Québécois qui baignent dans la religion catholique depuis des siècles.

Même The Gazette a écrit, hier, que ses lecteurs avaient peu de sympathie pour Balpreet Singh, conseiller juridique de la World Sikh Organization of Canada. C'est lui qui dirigeait le groupe de sikhs à qui on a refusé l'accès à l'Assemblée nationale, mardi, parce qu'ils refusaient d'enlever leur kirpan, le poignard religieux.

Balpreet Singh a su la veille de sa comparution qu'il ne pourrait entrer à l'Assemblée nationale s'il conservait son kirpan. Il s'est tout de même rendu à Québec. Il avait été invité par la commission parlementaire qui étudie le projet de loi 94 sur les accommodements raisonnables. Il voulait créer une controverse en se faisant mettre à la porte. Il a réussi. L'histoire a rebondi à Ottawa. Le Bloc québécois a enfourché le cheval de bataille de la laïcité intégrale en exigeant que le kirpan soit dorénavant interdit dans la noble enceinte de la Chambre des communes.

Encore une fois, l'explosive et increvable question des accommodements raisonnables hante le gouvernement.

J'ai joint Balpreet Singh à Ottawa, hier. Poli, calme, ton onctueux. Il m'a expliqué sa religion. «Nous devons porter cinq objets: le turban, un peigne, un bracelet en fer, un sous-vêtement de coton et le kirpan. Nous les portons toute notre vie, jour et nuit.»

Balpreet Singh a ajouté que le kirpan est accepté à la Chambre des communes, où des députés sikhs le portent depuis des années. Même tolérance en Ontario, en Colombie-Britannique, à la Cour suprême, au Congrès américain... La communauté sikhe est prête à faire des compromis si la sécurité l'exige: porter un kirpan plus petit, emmailloté dans une gaine, caché sous les vêtements.

En 2006, la Cour suprême a autorisé le kirpan dans les écoles. L'interdire viole la liberté religieuse garantie par la Charte des droits et libertés. Chaque fois que les tribunaux se sont penchés sur la question, ils ont donné raison aux sikhs: en Angleterre, aux États-Unis, au Canada. En 100 ans, le kirpan n'a jamais été impliqué dans un incident violent. Les députés de l'Assemblée nationale devraient méditer là-dessus.

Les opposants affirment que le kirpan est une arme dangereuse, une menace à la sécurité, une insulte au caractère laïque des institutions. Menace à la sécurité ou au vieux fond xénophobe des Québécois?

Comprenez-moi bien, je ne défends pas la religion. La foi reste mystérieuse, pour moi: la flamme mystique, les élans spirituels, les tourments de l'enfer, les rituels...

J'ai pourtant été élevée dans la religion catholique. Je devais aller à la messe tous les dimanches, confesser mes péchés, apprendre le petit catéchisme par coeur, manger maigre le vendredi. Je me suis docilement pliée à cette tyrannie parce que la dissidence n'était pas tolérée. Je suivais le troupeau. C'était dans un autre Québec, celui que les plus de 50 ans ont bien connu.

Aujourd'hui, je ne veux plus rien savoir de la religion. C'est un rejet viscéral, mais personnel. Je respecte le choix des autres, même si je ne le comprends pas. Pour plusieurs, la religion fait partie de leur identité. Et surtout, surtout, la religion est protégée par la Charte, une protection béton qui ne souffre que quelques exceptions accordées au compte-gouttes par la Cour suprême.

Je ne défends pas non plus les accommodements raisonnables à toutes les sauces. Il s'en est fait, des folies, au nom des accommodements. Le YMCA, par exemple, a givré les fenêtres de sa salle d'exercice parce qu'elles donnaient sur une synagogue. Les juifs hassidiques avaient protesté à la vue de femmes en short. Ils ont brandi leur droit à la liberté religieuse. N'importe quoi. Ils n'avaient qu'à s'acheter des rideaux. Mais le Y, en ces temps de confusion religieuse, avait décidé de givrer ses vitres pour éviter le scandale.

On vit à Montréal, une ville multiethnique où se côtoient sikhs, juifs, musulmans, athées. C'est ce qui fait son charme. Et sa complexité.

Où doit-on tracer la ligne? Qu'est-ce qui est acceptable? Où commence le déraisonnable? Pas facile. Gérard Bouchard et Charles Taylor ont fait le tour de la province pour poser ces questions aux Québécois. Ils y ont répondu de façon intelligente et éclairée dans un rapport de 300 pages qui dort sur les tablettes.

Ce qu'il faut protéger à tout prix, c'est le caractère laïque des institutions. Au Québec, les écoles sont laïques, une victoire obtenue à l'arraché. La religion n'y est plus enseignée. Que quelques élèves portent le voile ou la kippa importe peu. La religion a enfin été sortie des classes, c'est ce qui compte.

Même raisonnement pour les autres institutions publiques. Ce n'est pas parce qu'une employée municipale porte un foulard islamique que la laïcité de la Ville est compromise. C'est une évidence.... que les députés de l'Assemblée nationale ne semblent pas comprendre.