Hosni Moubarak s'accroche au pouvoir. Le vieux président de 82 ans ne veut pas partir. Pourtant, le pays tout entier est en ébullition et des millions d'Égyptiens, du Sinaï à Alexandrie en passant par Le Caire, exigent son départ immédiat: «Va-t'en! Moubarak, va-t'en!» crient-ils depuis 17 jours.

Même si le pays risque de basculer dans le chaos, Moubarak s'entête. Il reste. Et non seulement il reste, mais il garde le pouvoir entre ses mains. Son vice-président, Omar Souleimane, s'occupe des affaires quotidiennes et discute avec l'opposition, mais le pouvoir, le vrai, c'est Moubarak qui le détient. Encore. Et c'est lui qui va trancher quand viendra le temps de sceller un accord avec l'opposition. Souleimane négocie, Moubarak décide.

Ce n'est pas moi qui le dis, mais Ali Dirgham, politologue. Je l'ai joint chez lui, hier soir, au Caire, tout de suite après le discours de Moubarak.

«Le président conserve les vrais pouvoirs, a-t-il expliqué dans un français impeccable. C'est lui, et lui seul, qui a le droit de dissoudre le Parlement, de remanier le cabinet et d'approuver les changements à la Constitution.»

Moubarak garde donc la main haute sur l'Égypte. Il persiste et signe, peu importe si son obstination risque d'embraser son pays. Et il reste jusqu'au mois de septembre, c'est-à-dire jusqu'aux élections présidentielles.

Hier, la rumeur avait couru toute la journée : Moubarak va partir, il va l'annoncer à la télévision. Mais les heures filaient et rien ne se produisait. C'est seulement à 23 h, heure du Caire, que Moubarak a parlé. Un discours larmoyant où il a rappelé ses états de service. «Ça fait plus de 60 ans que je me dévoue», a-t-il dit. « J'ai passé ma vie à protéger l'Égypte, j'ai été à la guerre, j'ai souvent fait face à la mort comme pilote. (...) J'éprouve de la douleur dans mon coeur quand j'entends les critiques de certains de mes compatriotes.»

Il a commencé son discours en disant qu'il était «comme un père qui parle à ses enfants». Sauf que ses enfants se rebellent et rejettent ce père tyrannique.

Est-ce que la rue sera dupe? Va-t-elle se satisfaire des quelques changements à la Constitution promis par Moubarak, elle qui réclame son départ immédiat depuis 17 jours? Hier, le mouvement de contestation s'est amplifié. Des milliers d'employés ont quitté leur travail par solidarité. L'Égypte est en train de passer des manifestations monstres à l'insurrection populaire. Le Caire n'est pas seul à crier: «Va-t'en Moubarak! Va-t'en!»

Mais le vieux fait la sourde oreille et s'accroche.Dans son discours, Moubarak ne s'est pas gêné pour égratigner les puissances étrangères. «Je n'accepte pas les diktats de l'extérieur. (...) Nous ne sommes pas un État-satellite, un mouton qui suit les directives de l'étranger.»

Il se rebelle contre les pressions des puissances occidentales -les États-Unis, la France, l'Allemagne- inquiètes devant les désordres qui secouent l'Égypte. Avec raison. C'est tout le Proche-Orient qui risque d'être déstabilisé par le départ de Moubarak. Qui va le remplacer? Cette question hante les chancelleries occidentales. L'Égypte est située au coeur de la zone la plus explosive de la planète. Elle a comme voisin Israël, le Liban et la Syrie. Si l'Égypte bascule, l'onde de choc sera imprévisible.

Le sentiment anti-étranger était très présent quand j'étais au Caire. Hier, Moubarak a jeté de l'huile sur le feu. Son régime ne s'est d'ailleurs pas gêné la semaine dernière pour lancer ses partisans à la place Tahrir pour qu'ils s'en prennent aux journalistes et sèment la violence. Ces pro-Moubarak étaient armés et certains faisaient même la chasse aux manifestants à dos de cheval ou de dromadaire.

Moubarak a promis que les responsables de ces dérapages seraient punis. Ironique. Tout le monde sait que c'est son régime qui a envoyé ces voyous semer le désordre à la place Tahrir.

Qui Moubarak croit-il tromper? Ali Dirgham a peur. Peur que l'obstination du vieux président plonge son pays dans le chaos. «Ce qu'il a dit dans son discours ne mène à rien. Il a promis de changer quelques articles de la Constitution, mais ce n'est pas ce que veut le peuple. C'est de la folie de laisser cet homme s'entêter.»

Les gens de la rue ne partiront pas, croit Ali Dirgham. Moubarak non plus. Reste l'armée. Qui choisira-t-elle: le peuple ou son président, un homme issu de ses rangs?