Plus je regarde cette histoire, moins je la comprends. Non, en fait, je la comprends, mais, honnêtement, l'amateurisme de la Ville, qui s'est lancée dans une opération d'espionnage cousue de fil blanc, me renverse.

Je comprends que c'est un gâchis qui nuit à la crédibilité de la Ville de Montréal; un gâchis qui remet en question le leadership du maire, Gérald Tremblay. Mais en a-t-il encore, lui qui ne sait jamais ce qui se passe sous son nez?

Ce que je ne comprends pas, par contre, c'est que de hauts fonctionnaires aient pu utiliser un procédé aussi grossier pendant 10 mois sans que personne ne les arrête. Espionner les courriels du vérificateur général, c'est tellement abracadabrant! On ne parle pas d'un village perdu dans le fond d'un rang, mais de la plus grande ville du Québec. Et on ne parle pas d'un obscur fonctionnaire, mais du vérificateur, celui qui est payé pour déterrer les scandales de la Ville.

Comment le maire, qui a été mis au courant de l'opération espionnage après coup, a-t-il pu passer l'éponge? Pourquoi n'a-t-il pas congédié le contrôleur Pierre Reid, l'architecte de ce mauvais scénario?

Hier soir, pendant la réunion du conseil municipal, l'opposition a demandé au maire si les courriels des élus avaient été espionnés. «Je ne peux pas répondre à ça», a-t-il dit. Qui d'autre a été espionné? Quand? Pendant combien de temps? Qui le savait? Qui a donné le feu vert? Surréaliste. Y a-t-il quelqu'un qui contrôle quelque chose à l'hôtel de ville?

Gérald Tremblay a été réélu pour un troisième mandat en novembre 2009. Il a promis de faire le ménage. Il a d'ailleurs décidé de cumuler les rôles de maire et de président du comité exécutif. L'administration Tremblay-Tremblay. Il s'est donné tous les pouvoirs parce qu'il voulait savoir. Pourtant, il continue de ne rien voir. Allez comprendre.

On revient toujours à la même équation: ou il savait et c'est inacceptable, ou il ne savait pas et c'est tout aussi inacceptable. Mais inacceptable jusqu'à quel point? On déchire sa chemise, on pousse des cris indignés, puis on passe à autre chose? On attend le prochain scandale? Ou on arrête tout et on se demande ce qu'il faut faire? Est-ce la goutte d'eau qui fait déborder le vase? Que doit faire le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard? Donner à Gérald Tremblay une tape sur les doigts? Est-ce suffisant?

Le bouquet, c'est que toute cette histoire s'est déroulée sur fond de guerre entre le vérificateur et l'administration Tremblay. Compteurs d'eau, TELUS, des dossiers que Jacques Bergeron a remis à la police, ce que le maire n'a pas digéré.

Ça, c'est la toile de fond.

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En mars 2010, le président du comité de vérification de la Ville, André Harel, a reçu une plainte anonyme qui jetait un doute sur l'intégrité du vérificateur, Jacques Bergeron. Harel a appelé Pierre Reid, qui a ouvert une enquête, avec espionnage des courriels et installation d'une caméra devant le bureau du vérificateur. Un procédé qui flirte avec l'illégalité.

Une plainte anonyme. Intéressant. Le ministère des Affaires municipales reçoit plusieurs centaines de plaintes par année. Il refuse de traiter les plaintes anonymes. Pierre Reid était-il au courant de cette restriction qui est affichée sur le site web du Ministère? Lui, le super-enquêteur qui a une vingtaine de personnes sous ses ordres? Un autre qui ne savait pas, peut-être? Décidément, c'est contagieux.

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Mais le plus renversant, ce sont les «mensonges» du directeur général, Louis Roquet. Mardi dernier, le ministre des Affaires municipales lui a demandé de s'expliquer. Louis Roquet, l'homme de confiance du maire, a envoyé une lettre au sous-ministre dans laquelle il s'est fait rassurant. Mais non, mais non, ne vous inquiétez pas, a-t-il dit en gros, seuls les dossiers «relatifs à la gestion administrative du vérificateur ont été consultés», «de façon très sporadique, à quatre occasions seulement».

Le problème, pour M. Roquet, c'est que le vérificateur dément sa version. Et il la dément dans un document de 50 pages. Il a consulté des experts en informatique qui ont remonté la piste des courriels espionnés. En lisant son rapport, on tire trois conclusions. Un, l'ampleur de l'espionnage est sans précédent. Il touche au moins 330 documents. Deux, de nombreux dossiers du vérificateur, y compris ses enquêtes ultraconfidentielles, ont été consultés par l'équipe de Reid. Trois, ceux qui ont espionné ont essayé de camoufler leurs traces.

Quatre petites fois et seulement les courriels touchant la poutine administrative, jure Louis Roquet. Qui croire, le vérificateur ou Louis Roquet?

Louis Roquet ignorait peut-être que l'espionnage s'était fait à grande échelle? Un autre qui ne savait pas?

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Jacques Bergeron a été condamné sans procès, sans que personne n'écoute sa version. Le maire a été catégorique la semaine dernière lors de son point de presse: le vérificateur «a commis des irrégularités». Il «a posé des gestes qui entachent sa fonction». Aucune utilisation du conditionnel. A, et non pas aurait. Condamné, point. Ça frôle l'inquisition.

Résumons: le bureau du vérificateur est paralysé, son prochain rapport est compromis. Pierre Reid continue de travailler comme si de rien n'était, Louis Roquet aussi, le maire sait ou ne sait pas - on ne sait plus -, et la Ville a l'air fou. Encore.

Oui, un beau gâchis.