Hier, le vérificateur Jacques Bergeron a refusé de se présenter devant le conseil municipal. Il a bien fait. Pourquoi accepter l'invitation du maire Gérald Tremblay, alors que celui-ci l'a déjà condamné?

Ce n'est pas le conseil municipal - son patron - qui l'a convoqué, mais le maire qui l'a «invité» pour qu'il s'explique sur les conclusions du rapport du comité de vérification.

Rapport est un grand mot. Il s'agit plutôt d'un document de deux pages qui contient des accusations contre le vérificateur: attribution d'un contrat de traduction à sa belle-soeur, utilisation de l'ordinateur de la Ville pour échanger avec des étudiants, contrats scindés pour éviter de faire un appel d'offres, envoi d'un courriel à un journaliste pour l'inciter à dénoncer le fait que le maire venait de lui enlever la ligne éthique pour la donner au contrôleur Pierre Reid.

Chaque accusation - car il s'agit bien d'accusations, la présomption d'innocence n'existe pas dans l'univers de Gérald Tremblay - ne fait que quelques lignes. Zéro preuve, zéro témoignage. Un rapport pathétique pondu en panique par Pierre Reid, qui venait de se faire prendre les culottes baissées en train d'espionner les courriels du vérificateur. Et c'est avec ça que le maire veut abattre le vérificateur.

Car tout laisse croire qu'il s'agit d'une vendetta. Je n'ai pas de preuves? C'est vrai. Mais pourquoi s'embarrasser de preuves? Le maire, lui, ne s'encombre pas de ces vulgaires détails.

Gérald Tremblay a protesté: non, non, non, tout va bien. Le vérificateur? La relation est au beau fixe.

Tout va bien? Permettez-moi d'en douter. C'est plutôt la guerre. Une guerre qui oppose le vérificateur au maire et au directeur général, Louis Roquet. La guerre a commencé lorsque le vérificateur a remis son rapport sur les compteurs d'eau, en septembre 2009, quatre mois après sa nomination. Un vrai rapport, explosif, qui soulignait à grands traits l'incompétence de Gérald Tremblay dans l'attribution de ce mégacontrat de 350 millions. Le dossier sentait tellement mauvais que Jacques Bergeron l'a remis à la police.

Puis il y a eu son rapport annuel. Un autre truc explosif qui expliquait en long et en large les cafouillages dans deux dossiers, TELUS et BCIA, la firme de sécurité qui surveillait sans contrat le quartier général de la police. Rien pour plaire au maire. Là encore, il a été sévèrement blâmé.

Louis Roquet avait refilé en douce une copie du rapport à TELUS, même si le vérificateur avait pris la peine de lui dire que c'était hautement confidentiel. Ce geste a provoqué une crise qui a éclaboussé le maire. Au beau fixe, la relation entre l'administration Tremblay et le vérificateur? À d'autres.

Jacques Bergeron s'est fait de puissants ennemis. Aujourd'hui, il se retrouve comme Don Quichotte, seul à affronter la machine municipale. Il aurait dû faire preuve d'une extrême prudence, suivre à la lettre les lois et les règles. Il risque de ne pas survivre à cette guerre. Dommage, car il se tient debout. Ça prend du courage et un sacré culot pour partir à l'assaut de la Ville comme il l'a fait.

Hier, le maire voulait le traîner devant le conseil municipal transformé en tribunal. Un tribunal qui avait déjà son verdict: coupable sous tous les chefs. Une parodie de justice. Je le répète, le vérificateur a bien fait de refuser.

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Et le contrôleur Pierre Reid qui a fouillé dans les courriels du vérificateur pendant 10 mois? On ne l'entend pas, on ne le voit pas. Pourtant, c'est lui qui devrait être convoqué devant le conseil municipal pour répondre de ses actes. Qui lui a donné l'ordre d'espionner les courriels? Est-ce une initiative personnelle? A-t-il consulté les avocats de la Ville pour vérifier la légalité de sa «méthode»? Le directeur général, Louis Roquet, était-il au courant? Et Gérald Tremblay?

Autre question: Pierre Reid a-t-il espionné les courriels des élus? Interrogé lundi soir, le maire a eu cette réponse renversante: «C'est une excellente question. Je n'ai pas été informé, je ne peux pas répondre.» Pourtant, la réponse est facile à trouver. Il n'a qu'à convoquer Pierre Reid et à lui poser la question. Après tout, c'est lui, le patron. A-t-il peur de Pierre Reid?

Mais surtout, surtout, pourquoi le maire n'a-t-il pas congédié Reid? Pourquoi reste-t-il en poste? Il plonge le maire dans une des pires crises de son histoire et il s'en sort sans une égratignure, sans un blâme?

Hier, au conseil, Gérald Tremblay a continué de le défendre. Par contre, il a tiré à boulets rouges sur Jacques Bergeron. Il a même dit que c'était l'opposition qui avait écrit la lettre où il explique pourquoi il refuse de comparaître. Cette déclaration a été accueillie par un grand éclat de rire. Je n'ai pas ri, j'étais gênée. C'était trop. Trop tout: Gérald Tremblay est-il trop naïf ou trop cynique?

Le vérificateur a peut-être beaucoup à perdre dans cette histoire, mais le maire aussi. Il a perdu une partie de son autorité et de sa crédibilité. S'il lui en reste.