À Montréal, plusieurs immigrés vivent dans la peur, sous l'oeil inquisiteur de leur communauté. Mais le Québec est aussi une terre d'accueil. Des hommes et des femmes, persécutés dans leur pays au nom de l'honneur, trouvent refuge ici. Comme Ricardo Romero, transsexuel mexicain, qui a enfin trouvé la paix depuis qu'il vit à Montréal.

Ricardo Romero a toujours su qu'il voulait être une femme. Jamais le doute ne l'a effleuré.

Petit, il aimait s'habiller en fille; adolescent, il se pâmait devant les soutiens-gorge. À 21 ans, il avait une petite valise remplie de vêtements féminins. Il louait une chambre d'hôtel, ouvrait sa valise avec fébrilité, troquait son pantalon contre une jupe ou une robe, puis partait se balader dans les rues de Mexico, le coeur léger, la tête haute.

Ricardo vivait chez ses parents dans un quartier chic de Mexico. Son père était ingénieur, sa mère comptable. Une famille respectable et ultracatholique. Une famille, craignait Ricardo, qui pousserait les hauts cris si elle apprenait que le benjamin des sept enfants n'était pas un homme. Du moins dans sa tête.

Ricardo soupire en repensant à ces années de galère où il a caché sa véritable identité. Toutes ces années à vivre dans une «société machiste qui méprise les homosexuels et les travestis». Mais Ricardo n'osait pas révéler à sa famille qu'il ne rêvait qu'à une chose: passer sous le bistouri pour devenir une femme. Il n'osait pas avouer qu'il étouffait en homme, qu'il rejetait son corps trop viril, trop poilu, trop baraqué. Un corps qui n'avait rien de féminin.

Aujourd'hui, après un traitement agressif aux hormones, Ricardo est devenu Tania, moitié homme, moitié femme. Tania a des seins et un pénis.

Tania est heureuse depuis qu'elle a quitté le Mexique, heureuse dans son minuscule deux-pièces au sous-sol d'un immeuble de Cartierville, dans le nord de Montréal.

Des photos d'elle en robe décolletée, dans des poses sexy ou alanguies, tapissent les murs de son logement. Elle me reçoit en jean assorti d'une camisole minimaliste bleu pâle qui met en valeur ses seins rebondis. Même si elle a teint ses cheveux en blond, peint ses ongles en rose, maquillé ses yeux d'un trait maladroit d'eye-liner, couvert son corps de bijoux, même si ses gestes sont empreints de féminité, ses traits virils la trahissent. Il n'y a pas de doute, Tania était un homme dans une autre vie.

Bientôt, dans un an peut-être, Tania sera une femme. Entièrement. «Je suis sur une liste d'attente pour l'opération, explique-t-elle dans un français où perce un fort accent espagnol. Le médecin va enlever mon pénis et me faire une vaginoplastie. C'est le gouvernement qui paie.»

Aujourd'hui, Tania a 42 ans. Elle a fait son coming out à l'âge de 24 ans. «J'ai avoué à ma mère que j'étais un travesti. Elle m'a répondu: «Je t'aime.» Mais dans ses yeux, je pouvais lire la déception. Mon père a eu la même réaction.»

Ses frères et soeurs ont honte. Certains refusent de lui parler, même après toutes ces années. Seule sa mère est venue la voir à Montréal.

«Je sais ce qu'ils pensent. Je suis la pire personne, je ne suis pas fréquentable.»

Tania hausse les épaules. C'est leur vie. Elle a la sienne. Et elle n'a aucun regret.

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Ricardo travaillait comme ingénieur à Mexico. Au bureau, il portait toujours des chemises à manches longues pour cacher ses bras épilés et ne soufflait mot de sa double vie. Il avait peur des préjugés, peur d'être congédié. Le week-end, par contre, il s'éclatait. Il sortait ses vêtements de femme et il écumait les bars et les soirées.

Mais la police n'aimait pas les travestis. «Les policiers étaient agressifs. Je me suis souvent fait arrêter. Ils se moquaient de moi et me battaient. Il y a même eu des agressions sexuelles.»

Épuisé par cette double vie, Ricardo s'est dit qu'il devait quitter le Mexique. Il avait un ami d'enfance qui vivait à Montréal, un gai qui avait fui le climat étouffant de Mexico.

«Viens vivre à Montréal, lui a-t-il dit, les gais ont beaucoup de liberté.»

Ricardo a entamé les démarches. «J'ai demandé et obtenu le statut de réfugié. J'ai dit que ma vie était en danger parce que j'étais un travesti.»

En juillet 2004, Ricardo a débarqué à Montréal avec une valise remplie de vêtements féminins. Il n'avait pas de travail et ne parlait ni français ni anglais, mais pour la première fois de sa vie, il se sentait libre. Libre de s'appeler Tania et non plus Ricardo.

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Rebecca, Soraya, Maryam, Rudy. Des histoires bouleversantes d'immigrés qui vivent à Montréal sous l'oeil inquisiteur de leur communauté. Des histoires que vous avez lues dans La Presse cette semaine, dans le cadre de la série sur l'honneur.

Soraya, battue par son mari pendant des années, sans que la communauté algérienne lève le petit doigt pour l'aider; Rebecca, 17 ans, qui tremble à l'idée de croiser son père lorsqu'elle se promène sans voile dans la rue; Maryam, qui n'ose pas vivre ouvertement son amour parce qu'elle craint le regard de ses parents d'origine iranienne et de foi bahá'íe; Rudy, jeune Africain rejeté par sa famille et sa communauté parce qu'il est gai.

Trois femmes et un homme prisonniers de leur culture.

Tania, elle, a vécu le contraire. Elle est venue à Montréal pour se débarrasser du machisme de la société mexicaine «qui voit encore les hommes avec une moustache et un revolver».

Montréal est aussi une terre d'accueil et de liberté pour les immigrés qui fuient les tabous de leur famille et de leur communauté.

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Tania a appris le français, elle a trouvé du travail au service de recouvrement d'une banque. Un travail routinier. Même si elle a fait plusieurs démarches, personne ne l'a embauchée comme ingénieure.

À la banque, elle s'habille toujours en femme. Tout le monde sait qu'elle est une transsexuelle. Fini les manches longues pour cacher ses bras épilés.

Tania évite les Mexicains. Elle sait ce qu'ils pensent d'elle. Elle vit sa vie à fond, sa vie de femme. Elle fréquente les cabarets gais et donne même des spectacles à l'occasion.

Et quand elle rentre chez elle au milieu de la nuit, elle ne passe plus son temps à regarder par-dessus son épaule, de crainte de voir la police l'arrêter ou la battre parce qu'elle ose s'habiller en femme.

Photo: André Pichette, La Presse

Après un traitement agressif aux hormones, Ricardo est devenu Tania, moitié homme, moitié femme. Bientôt, dans un an peut-être, Tania sera une femme. Entièrement.