Le 1er juillet, les troupes canadiennes vont quitter Kandahar et abandonner leur mission de combat. Elles vont se replier sur Kaboul, la capitale. De 2500, le nombre de militaires va chuter à 950. Leur objectif: former les soldats afghans pour qu'ils puissent prendre la relève lorsque l'OTAN va se retirer en 2014. Pourront-ils empêcher les talibans de reprendre le pouvoir? Les militaires occidentaux croient que oui. Les experts, eux, en doutent. Bilan.

À l'automne 2007, j'ai participé à une expédition militaire dirigée par le gouverneur de Kandahar, Assadullah Khalid. La veille, des talibans avaient abattu deux policiers dans un district situé à une quarantaine de kilomètres de Kandahar. Le gouverneur voulait venger leur mort.

Il avait sauté dans son véhicule tout-terrain, suivi par 200 hommes entassés dans des pick-up. Ils n'avaient ni vestes pare-balles ni blindés ni équipement sophistiqué comme les militaires occidentaux, mais ils étaient armés de lance-roquettes et de fusils.

Le gouverneur avait fait un rapide aller-retour sur une route caillouteuse et escarpée, dans une région infestée de talibans. Il avait organisé son équipée à la dernière minute et il avait refusé de demander l'aide des soldats de l'OTAN pour lesquels il n'avait que mépris.

«Ils auraient pris 10 jours pour faire un plan, puis ils auraient parlé, bla, bla, bla, avait-il dit avec un sourire amer. Les talibans, eux, n'attendent pas. Nous sommes en guerre contre le terrorisme, il faut agir rapidement. Nous sommes Afghans, nous connaissons l'Afghanistan, mais la communauté internationale ne nous écoute pas. Elle s'imagine qu'elle en sait plus que nous.»

Il n'est pas le seul Afghan à critiquer l'OTAN. Youssef Pachtoune, proche conseiller du président Karzai, ne mâche pas ses mots. Je l'ai rencontré en octobre à Kaboul. Les Canadiens, disait-il, ne connaissent rien à l'art de la guerre.

«Dès que les Canadiens exercent de la pression sur une région, les talibans se déplacent. Et quand les soldats changent de place et attaquent un autre endroit, les talibans se déplacent de nouveau. Leur stratégie militaire ne fonctionne pas.

-Tout ce que les Canadiens ont fait est inutile? lui avais-je demandé.

-Oui, inutile, avait-il répondu.

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Personne ne croit en la victoire de l'OTAN, sauf les militaires. À peu près tous les experts s'entendent: lorsque les soldats occidentaux vont se retirer en 2014, le pays risque de plonger de nouveau dans le chaos.

«Il existe deux discours contradictoires, confirme Olivier Roy, chercheur français et grand expert de l'Afghanistan. Les militaires sont optimistes, ils pensent qu'ils vont gagner; les observateurs, eux, sont beaucoup plus pessimistes. La vérité, c'est que les victoires des Occidentaux sont en trompe-l'oeil.»

L'Afghanistan est un pays complexe composé de clans, de tribus et d'ethnies. Une contrée rude, d'une beauté à couper le souffle avec ses montagnes de roc et ses paysages sauvages. En 2001, les Occidentaux se sont lancés tête baissée dans ce pays impossible. Ils n'ont pas compris son histoire, sa complexité et sa résistance farouche à toute forme d'occupation étrangère.

L'OTAN voulait capturer Oussama Ben Laden, détruire Al-Qaïda et reconstruire le pays saccagé par 20 ans de guerre. Sauf qu'elle s'est enlisée, comme les Soviétiques dans les années 1980. Elle a sous-estimé la difficulté du terrain, la corruption du gouvernement afghan et la résistance des talibans chassés du pouvoir en 2001 par les Américains.

Depuis 2003, les talibans se battent contre l'OTAN, puissamment épaulés par Al-Qaïda et le Pakistan. Aujourd'hui, la communauté internationale est engluée dans une guerre qui la dépasse. Après 10 ans de combat, le bilan est amer.

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Le 1er juillet, les troupes canadiennes vont quitter Kandahar et déposer les armes. Elles se replient sur Kaboul. Il ne restera plus que 950 militaires. Leur mission: former les soldats afghans pour qu'ils prennent la relève lorsque l'OTAN partira en 2014.

Selon Olivier Roy, l'armée et le gouvernement afghans ne résisteront pas longtemps. «Kaboul et le sud du pays vont tomber entre les mains des talibans, croit-il. Les soldats afghans n'ont pas fait leurs preuves.»

J'ai patrouillé avec des soldats canadiens dans le poste avancé de Ma Sum Ghar, dans la région de Panjwayi, en février 2007. Une poignée de Québécois formaient des Afghans. J'étais passée à côté de leur campement. Ça sentait le pot à plein nez. À 9h du matin.

Les Québécois nageaient en plein choc culturel. «On vit avec les soldats afghans, on mange avec eux et le commandement est commun, m'avait expliqué le capitaine Kevin Thériault. La cohabitation est parfois difficile. Par exemple, il y a beaucoup de sodomie chez les Afghans. Pour eux, le plaisir est avec les hommes, et les femmes s'occupent des bébés. Ils fument aussi beaucoup de pot.»

Et les désertions sont nombreuses. «Les soldats afghans sont mal équipés, avait ajouté de son côté le capitaine Frédéric Pruneau, responsable d'un bataillon. La police nationale rencontre les mêmes problèmes que l'armée: désertion, corruption, bas salaires.»

Et c'est entre leurs mains que l'OTAN va remettre le sort de l'Afghanistan.

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Le retrait débute bientôt: les Canadiens à partir du 1er juillet, les Britanniques, les Français et les Néerlandais au cours de la prochaine année. Même les Américains commenceront à réduire leurs effectifs cet été.

Et le retrait risque de s'accélérer. Depuis la mort d'Oussama ben Laden, la communauté internationale ne cache pas son envie de plier bagage le plus rapidement possible. La donne a changé. De plus, l'opinion publique est réfractaire à la présence de soldats sur le sol afghan. En Grande-Bretagne, par exemple, seulement 33% des gens appuient la mission afghane. En Allemagne, la mort de sept soldats a fait exploser la grogne.

Pour Olivier Roy, le retrait s'effectue de façon désordonnée.

«Il n'y a pas de doctrine commune de retrait, explique-t-il. Chaque pays décide de se retirer sans vraiment donner de raison.»

Dix ans après le 11 septembre, l'heure est au questionnement et la mort d'Oussama ben Laden bouscule le calendrier soigneusement établi par l'OTAN.

«Les Américains sont entrés en Afghanistan pour se débarrasser de ben Laden, rappelle Olivier Roy. Le pays n'a pas été reconstruit, mais ben Laden est mort. C'est une victoire partielle.»

C'est bien la seule. Al-Qaïda est plus vivant que jamais dans les zones pachtounes, même si son chef est mort. La situation en Afghanistan s'est détériorée au cours des dernières années. En 2003, Kaboul était en plein essor et la plupart des femmes se promenaient sans burqa. La capitale vivait un véritable boom économique, un vent d'optimisme soufflait sur le pays. Les talibans étaient en déroute et la communauté internationale promettait mer et monde avec ses milliards.

Huit ans plus tard, c'est la désillusion. Les talibans n'ont jamais été aussi puissants, ils sont présents dans 33 des 34 provinces. Les grands axes routiers qui relient Kaboul aux autres villes ne sont pas sûrs, la capitale est de plus en plus isolée. L'Afghanistan est devenu plus violent que l'Irak. En 2010, le nombre de combats a augmenté de 60%, davantage de civils ont été tués et l'industrie du kidnapping est en plein essor.

Sans oublier le Pakistan où fleurit, depuis 2007, un mouvement fondamentaliste pachtou, les talibans pakistanais. Ils carburent aux attentats suicide, déstabilisant encore plus ce pays instable qui possède l'arme nucléaire et qui partage une frontière commune de 2500 kilomètres avec l'Afghanistan. Un pays dirigé par un homme faible et corrompu, Asif Zardari, veuf de l'ex-première ministre Benazir Bhutto. Jamais la situation n'a été aussi explosive.

Plusieurs experts croient que l'Afghanistan va de nouveau plonger dans la guerre civile quand l'OTAN va partir en 2014, comme au début des années 1990 après le retrait des Soviétiques. Ce scénario infernal risque de se répéter. À l'époque, les talibans se battaient contre les tadjiks et les seigneurs de la guerre. En 2014, ils vont de nouveau se battre contre les tadjiks et les seigneurs de la guerre.

Et tout ce qui a été reconstruit sera de nouveau détruit.