En juin 2009, Asia Bibi, paysanne illettrée du Pakistan, a été jetée en prison, puis condamnée à mort parce qu'elle avait insulté le prophète Mahomet. Elle est enfermée depuis deux ans dans une cellule insalubre, coupée du reste du monde. Une journaliste française a réussi à entrer en contact avec elle grâce à la complicité du mari. Il en est sorti un livre bouleversant, dans lequel Asia Bibi raconte son histoire, ses angoisses, sa rage. Pour la première fois, on entend sa voix. Récit d'une condamnée à mort.

«Je vous écris du fond de ma prison, à Sheikhupura, au Pakistan, où je vis mes derniers jours, écrit Asia Bibi. Peut-être mes dernières heures. C'est ce que m'a dit le tribunal qui m'a condamnée à mort.

«J'ai peur.

«J'ai peur pour ma vie, pour celle de mes enfants et de mon mari qui souffrent: à travers moi, c'est toute ma famille qui a été condamnée. [...]

«Je n'ai jamais tué, jamais volé, mais pour la justice de mon pays, j'ai fait bien pire: je suis une blasphématrice. Le crime des crimes, l'outrage suprême. On m'accuse d'avoir mal parlé du Prophète. [...]

«Je suis une «fille de rien», comme on dit ici. Une simple paysanne d'Ittan Wali, un minuscule village du Penjab, dans le centre du Pakistan. Et pourtant, aujourd'hui, tout le monde me connaît. Tout le monde sait qui est Asia Bibi.»

Depuis deux ans, Asia Bibi vit dans une cellule minuscule et insalubre, la peur au ventre. Peur d'être pendue, peur d'être assassinée par des extrémistes. Deux politiciens ont déjà été abattus parce qu'ils ont osé la soutenir: le gouverneur du Penjab, Salman Taseer, en janvier, et le ministre des Minorités, Shabaz Bhatti, en mars.

L'histoire d'Asia Bibi enflamme le Pakistan. Pendant que les islamistes exigent sa tête, quelques voix timides s'élèvent pour demander sa libération. Le gouvernement est incapable de dénouer la crise. Il a peur d'affronter les extrémistes qui sont prêts à tout pour avoir sa peau. Le dossier est délicat, explosif. Même le pape est intervenu pour plaider sa cause.

Asia Bibi vit en recluse dans sa cellule, à l'écart des autres détenues, car elles pourraient l'assassiner. Une journaliste française, qui a vécu au Pakistan pendant trois ans, a réussi à entrer en contact avec elle grâce à la complicité du mari. Elle ne l'a jamais rencontrée.

«Je faisais passer mes questions par son mari, m'a expliqué Anne-Isabelle Tollet qui vit maintenant à Paris. J'avais besoin de tous les détails pour me mettre dans sa peau.»

Lorsque le mari visitait Asia en prison, la journaliste l'attendait à la sortie pour recueillir ses paroles. Il est illettré, comme Asia Bibi.

De ces échanges est né un livre, Asia Bibi, blasphême*. Un livre dérangeant, bouleversant, où la voix d'Asia Bibi se fait entendre pour la première fois depuis qu'elle a été emprisonnée en juin 2009. Asia Bibi raconte son calvaire, ses angoisses, sa rage.

Asia Bibi est chrétienne. Elle fait partie de cette petite minorité religieuse noyée dans un océan de musulmans. Elle raconte la journée fatidique du 19 juin 2009 où elle a osé boire l'eau d'un puits avec la gamelle utilisée par les musulmanes. Elles l'ont aussitôt accusée d'avoir souillé l'eau. C'est là que tout a dérapé.

«Ces femmes sont devenues hystériques [...]. Après l'altercation, j'ai été poursuivie par une foule déchaînée, j'ai été battue par plusieurs villageois qui m'ont traînée jusqu'au poste de police. C'est là que, sous la pression de la foule et du mollah du village, les policiers m'ont jetée en prison, m'accusant injustement d'avoir blasphémé.»

Asia Bibi décrit sa cellule. Elle est «humide et froide, si petite que je peux toucher les murs de mes deux bras. Quand il pleut dehors, il pleut aussi dans ma cellule. Je patauge dans la boue et ma couverture comme mes vêtements sont mouillés. J'ai froid la nuit, mais les gardes ne veulent pas réparer les fuites. Ça semble les amuser de voir l'eau tomber dans ma cellule.»

Elle parle aussi de cette journée terrifiante où un juge l'a condamnée à mort. C'était le 8 novembre 2010, un an et quatre mois après son arrestation. «Le juge lève sa main puissante et fait claquer le marteau à travers le tribunal. Avant même que l'écho du maillet n'ait fait le tour de la salle, la foule acclame le verdict qui me conduit tout droit à la mort. Je me mets à pleurer. Je suis seule contre tous [...] Je pleure seule, en mettant ma tête dans mes mains. Je n'arrive plus à supporter la vue de ces gens haineux, applaudissant la mise à mort d'une pauvre ouvrière agricole.»

Elle n'arrive pas à comprendre qu'elle est devenue une «affaire d'État», elle, une paysanne illettrée.

Asia Bibi n'est pas la seule à avoir enfreint la loi sur le blasphème. Depuis trois ans, 800 cas de blasphème ont été signalés, dont plusieurs sont farfelus. Comme la voisine de cellule d'Asia Bibi, Zarmina. Elle était en moto avec son mari lorsqu'ils ont eu un accident. «L'engin a terminé sa course folle sur un monument dédié au prophète Mahomet, raconte Asia Bibi. Zarmina et son mari ont été tous les deux accusés de blasphème, puis jetés en prison.»

Une nuit, Asia a entendu Zarmina hurler. Le lendemain, elle était morte. A-t-elle été assassinée par ses codétenues? Asia l'ignore.

Le mari d'Asia Bibi et une de ses filles ont passé quelques jours à Paris à la fin du mois de mai pour souligner la sortie du livre et plaider sa cause. Je leur ai parlé rapidement au téléphone. Ils s'apprêtaient à prendre l'avion pour retourner au Pakistan, où ils vivent cachés depuis deux ans. Ils ne veulent pas abandonner Asia.

«Asia va bien, m'a dit son mari, même si elle a été malade. Elle met beaucoup d'espoirs dans le livre.»

La justice pakistanaise est impuissante. Asia Bibi a interjeté appel. Le dossier est entre les mains de la Cour d'appel, sauf que personne n'ose y toucher. Un juge, qui a libéré un homme accusé de blasphème, a été assassiné. Et la grâce présidentielle ne peut pas être utilisée si la Cour suprême ne s'est pas prononcée.

«Ça peut durer encore deux ans, dit la journaliste Anne-Isabelle Tollet. Le gouvernement aimerait qu'elle meure. Ses conditions de détention sont intenables. Si elle n'est pas jugée rapidement, elle mourra.»

Sa santé est fragile, ses deux années de prison l'ont usée. «Je ne vois plus que des cheveux gris tomber sur mes épaules, écrit-elle, et quand j'interroge mon visage avec mes mains, je sens, au bout de mes doigts, des joues creusées.»

La France serait prête à l'accueillir si elle est libérée, car elle ne pourra plus vivre au Pakistan. Un mollah a lancé une fatwa contre elle: il a promis un demi-million de roupies (5700$) à celui qui l'assassinerait.

Elle s'accroche au livre, son dernier espoir. À la fin, elle lance un cri du coeur. «Maintenant que vous me connaissez, racontez ce qui m'est arrivé autour de vous. Faites-le savoir. Je crois que c'est ma seule chance de ne pas mourir au fond de ce cachot.

«J'ai besoin de vous!

«Sauvez-moi!»

*Asis Bibi, blasphème d'Anne-Isabelle Tollet, publié aux éditions Oh, sera en librairie à partir du 30 juin.

Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca