Question: un comptable est-il compétent pour donner des cours d'éthique à des élus municipaux?

La réponse est évidente: non.

Pourtant, l'Union des municipalités du Québec (UMQ) a choisi la firme comptable Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) pour donner les cours. Qu'est-ce que la comptabilité vient faire avec l'éthique?

RCGT se spécialise dans la «certification, la fiscalité, les services de conseil, le redressement d'entreprise et l'insolvabilité». On est loin de l'éthique.

Au printemps, le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, a lancé un programme pour développer le «réflexe éthique» des élus. Depuis deux ans, le monde municipal a été écorché par de nombreux scandales. On ne parle que de collusion, de corruption et d'enveloppes brunes.

L'idée du ministre Lessard est intéressante: inculquer des notions d'éthique aux élus grâce à une courte formation d'une journée. Mais entre une bonne idée et sa réalisation, il y a souvent un monde. Dans ce cas-ci, le monde a été périlleux et l'idée a dérapé.

Le Ministère a eu la mauvaise idée de confier le bébé aux deux associations qui représentent le monde municipal, soit l'UMQ et la FQM (Fédération québécoise des municipalités). C'est là que la sauce s'est gâtée.

L'UMQ a choisi la firme Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) après un appel d'offres. RCGT s'est associée à la chaire d'éthique de l'Université de Sherbrooke, car elle ne connaît rien aux questions éthiques.

C'est le titulaire de la chaire, André Lacroix, qui me l'a dit. «Nous avons conçu le programme et nous avons formé les formateurs de RCGT, car ils n'ont pas d'expertise dans le domaine.»

Ce sont donc des gens de RCGT qui vont donner les 70 séances de formation. Ils sont 4: un comptable qui a 20 ans d'expérience en «gestion financière, opérationnelle et stratégique», une architecte qui a une MBA et qui possède 25 ans d'expérience en «stratégie municipale», un ingénieur gestionnaire et dirigeant d'entreprise, et l'ancien maire de Chelsea, dans l'Outaouais, qui a aussi été «directeur et conseiller spécial auprès d'institutions nationales et internationales».

Des curriculum vitae longs comme le bras. Mais de l'expertise en matière d'éthique? Rien. Ingénieur, comptable, architecte, ancien maire. N'importe quoi. Ils ont reçu une formation de trois jours donnée par la chaire d'André Lacroix. Sauf qu'on ne peut pas s'improviser expert en éthique en trois jours. Et encore moins prétendre donner un cours d'éthique d'une journée à 2200 élus.

Comment ces formateurs improvisés vont-ils se débrouiller quand un élu va poser une question pointue ou demander conseil en soumettant un cas précis? Que répondra l'ingénieur ou l'architecte?

Cette formation coûte cher - environ un quart de million pour l'UMQ seulement. Il me semble que ça pourrait être fait avec plus de sérieux.

La FQM, elle, a fait preuve de prudence. Elle a confié la formation à des avocats spécialisés dans le droit municipal. Ils sont une quarantaine et ils vont former 7000 élus. Eux, au moins, vont savoir de quoi ils parlent.

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Ce n'est pas la première fois que l'UMQ manque de jugement. En mai, deux firmes de génie-conseil, Roche et Dessau, ont commandité son congrès. Les deux ont été ou sont visées par des enquêtes policières. En cette ère d'éthique extrême, ce n'était pas une bonne idée. Dessau a même offert une soirée gastronomique aux élus à l'Aquarium de Québec.

En choisissant RCGT, l'UMQ a de nouveau fait preuve de manque de jugement.

RCGT a de nombreux contrats avec des municipalités. Elle vérifie leurs états financiers. Pourtant, c'est elle qui a été choisie pour donner les cours d'éthique. Non seulement elle n'a pas d'expertise, mais sa proximité avec le monde municipal aurait dû la disqualifier. Le logo de RCGT figure sur le site web de l'UMQ. La firme passe pour la championne de l'éthique. Tentant pour une ville de lui confier la vérification de ses états financiers. Belle publicité. Gratuite.

Mon collègue Fabrice de Pierrebourg a découvert que des fonctionnaires des villes de Sherbrooke et de Châteauguay siégeaient au comité de sélection qui a choisi RCGT. Deux villes qui ont des contrats avec... RCGT.

Apparence de conflit d'intérêts. Apparence. Mais c'est justement ce que le cours doit enseigner aux élus, cette frontière où la légalité devient moralement inacceptable. Et ce sont des gens de RCGT qui vont leur expliquer cela? Vont-ils oser donner leur propre exemple?

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Pourquoi le ministère des Affaires municipales ne s'est-il pas occupé de cette formation? Il a des juristes compétents qui connaissent les lois sur le bout des doigts. Et qui ne risquent pas d'être en conflit d'intérêts.

Mais non, il a préféré s'en laver les mains en confiant le mandat à l'UMQ.

C'est pour ça que des comptables donnent des cours d'éthique.