Si Michael Applebaum pensait se débarrasser de moi en refusant de me donner une entrevue, il s'est trompé.

Qui est Michael Applebaum, êtes-vous en train de vous demander? Ne vous inquiétez pas, c'est normal, il est peu connu du grand public. Élu conseiller municipal dans Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce en 1994, puis promu maire de l'arrondissement au lendemain des fusions, il a gravi, un à un, tous les échelons.

En avril, il a été nommé président du comité exécutif. Après Gérald Tremblay, c'est le politicien le plus puissant à Montréal. Il a hérité des finances et du budget, un monstre à 20 têtes: un budget pour la ville centre et un pour chacun des 19 arrondissements.

Michael Applebaum est un agent d'immeubles. Pendant des années, il a vendu des maisons pour Royal LePage tout en s'occupant de son arrondissement. Un travail honorable que la Ville a gonflé à l'hélium en le présentant comme «un homme d'affaires averti».

M. Applebaum donne les grandes orientations budgétaires. Il en profite pour faire la morale aux maires d'arrondissement en leur demandant d'arrêter de se plaindre et de comprimer leurs dépenses. À l'écouter, on a l'impression qu'ils jettent l'argent par les fenêtres.

Les arrondissements «doivent couper, il y a de la place pour le faire», a-t-il dit à mon collègue Karim Benessaieh, jeudi.

J'ai essayé de rencontrer M. Applebaum pour qu'il m'explique tout cela: les lamentations des arrondissements, les compressions et son approche client un peu bébête, comme si la Ville était une entreprise qui vend des souliers.

Jeudi, je me suis présentée à l'hôtel de ville avec mon collègue, mais l'attachée de presse m'a renvoyée à mes casseroles. Pour rencontrer M. Applebaum, je devais d'abord faire une «demande officielle». Elle n'en démordait pas.

J'ai donc fait une «demande officielle» - un simple coup de fil -, mais M. Applebaum ne pouvait pas me rencontrer, il était trop occupé.

C'est vrai que les arrondissements se plaignent, mais ils ont raison. La dotation - l'argent que la Ville leur verse chaque année et qui constitue le gros de leur budget - est gelée depuis deux ans. Et elle sera de nouveau gelée en 2012. Trois ans de gel. Consécutifs.

Les arrondissements peinent à boucler leur budget. La ville centre négocie les conventions collectives et accorde des hausses de salaire. Les arrondissements ne sont pas consultés. Par contre, ils sont obligés de tenir compte de ces augmentations quand ils paient leurs employés: 2% en 2010, 2% en 2011. Ils doivent aussi absorber l'inflation et les coûts de système. Avec un budget gelé depuis deux ans. Résultat: c'est le citoyen qui paie. Par une taxe locale imposée par l'arrondissement ou par l'effritement des services.

«On coupe le gazon aux 10 jours dans les parcs et non une fois par semaine, m'a expliqué le maire du Sud-Ouest, Benoit Dorais. Et on le coupe moins court, car ça coûte moins cher. On bouche moins de nids-de-poule et on a même fermé une piscine.»

Pendant que les arrondissements se serrent la ceinture, le budget de la ville centre, lui, explose. Il est passé de 3,97 milliards en 2008 à 4,5 milliards en 2011, un bond de 18%.

Et M. Applebaum ose faire la morale aux arrondissements. Faut être gonflé.

M. Applebaum se défend en disant - et il a raison - que les arrondissements ont engrangé des surplus de 132 millions. Sauf que ces surplus sont ponctuels. Les arrondissements peuvent remercier le ciel, il y a eu peu de tempêtes de neige cette année. Dans certains arrondissements, comme Ville-Marie, les surplus proviennent des permis de construction. Avec les deux CHUM, anglais et français, l'argent rentre et gonfle les revenus.

Mais ces surplus, fragiles et éphémères, cachent une sombre réalité: les arrondissements sont pris à la gorge. En 2008, la dotation des 19 arrondissements totalisait 816 millions ; en 2011, elle était de 818 millions. Deux misérables millions de plus.

M. Applebaum conteste ces chiffres. Son attachée de presse m'a expliqué que la dotation en 2011 était de 852 millions et non 818, 34 millions de plus qui proviendraient des revenus des parcomètres versés désormais aux arrondissements. Les budgets ne sont donc pas gelés.

Je vous épargne l'état de confusion dans lequel ces chiffres m'ont jetée. Personne ne comprenait, ni l'opposition ni les maires d'arrondissement que j'ai joints. La dotation est-elle gelée, oui ou non? Les maires d'arrondissement me juraient que leurs budgets faisaient du surplace et qu'ils n'avaient jamais vu la manne des parcomètres.

C'est le directeur des finances de la Ville, Robert Lamontagne, qui a démêlé le vrai du faux. La dotation est bel et bien gelée et la Ville garde pour elle l'argent des parcomètres. Les fameux 34 millions proviennent d'un jeu comptable. Les arrondissements ont des revenus autonomes provenant, entre autres, des taxes locales et des permis. En 2011, ces revenus atteignaient 122 millions. La Ville a retranché 34 millions de cette colonne, la faisant passer de 122 à 88 millions, et elle les a transférés dans la colonne de la dotation qui, elle, a grimpé de 818 à 852 millions.

Dans la vraie vie, les arrondissements n'ont donc pas un sou de plus. Question: pourquoi M. Applebaum affirme-t-il que les budgets ne sont pas gelés? Il n'a rien compris ou il manipule les chiffres?

J'aimerais bien lui poser la question, mais il est trop occupé.