Hier, le grand patron de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), Robert Lafrenière, a donné un point de presse. Il a dit deux choses. Premièrement, il est fâché contre Jacques Duchesneau qui a affirmé que son unité, «c'est pas fort». Deuxièmement, il a détaillé son organigramme, assaisonné de quelques statistiques.

Du nouveau? Non. Des résultats? Non. Des arrestations? Non. Que du réchauffé. Du vent. Et beaucoup d'enrobage pour nous convaincre que l'UPAC travaille fort, très fort, pour débusquer la corruption. Sauf qu'il fallait le croire sur parole, car on n'avait rien à se mettre sous la dent.

Je pourrais vous parler du costume de M. Lafrenière, complet gris, chemise blanche, cravate bleue. Ou vous décrire le décor: une salle beige située dans les locaux du ministère des Transports, au centre-ville de Montréal, avec des fenêtres qui donnaient sur des murs gris béton. Aussi intéressant qu'un organigramme. Et aussi révélateur que le point de presse de M. Lafrenière. Du vent.

Pourquoi a-t-il convoqué les journalistes s'il n'avait rien à dire? La loi l'oblige à rendre des comptes publiquement deux fois par année. Mais selon le député péquiste Stéphane Bergeron, porte-parole de l'opposition en matière de sécurité publique, le «petit point de presse» de Lafrenière ne constitue en rien une reddition de comptes, car il n'y avait aucune substance.

Est-ce que certaines enquêtes vont aboutir? Et la fameuse enquête sur les compteurs d'eau à Montréal qui agonise peut-être sur un bureau de l'escouade Marteau? L'UPAC enquête-t-elle sur Laval?

M. Lafrenière a refusé de répondre, car «il ne faut pas nuire aux enquêtes en cours». Je ne suis plus capable d'entendre cet argument. Ça fait des mois et des mois qu'on nous le sert. Le gouvernement Charest patauge dans le psychodrame de la corruption depuis deux ans, le premier ministre a créé une équipe d'enquêteurs chevronnés et on ne sait toujours rien. Avouez qu'il y a de quoi s'impatienter.

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Robert Lafrenière était donc fâché. Une colère polie, toute bureaucratique. Jacques Duchesneau, chef de l'Unité anticollusion, a osé le critiquer dans La Presse. Il a dit: «L'UPAC, c'est pas fort. Ils pensent police. [...] Ce n'est pas un policier qui devrait être à la tête de l'UPAC, mais plutôt un juge à la retraite, comme John Gomery [qui a dirigé la commission d'enquête sur les commandites].»

Lafrenière n'a pas étalé ses états d'âme, mais il ne faut pas être devin pour comprendre que les jours de Duchesneau sont comptés. Son Unité anticollusion a été avalée par celle de Lafrenière en septembre.

Normal que Lafrenière ait été piqué au vif par les critiques de Duchesneau. Les deux hommes se connaissent, ce sont deux policiers de carrière.

Jacques Duchesneau a réussi à pondre un rapport explosif en 18 mois avec une équipe réduite à sa plus simple expression, une quinzaine d'enquêteurs. Il a démonté, pièce par pièce, le système de la collusion au Québec.

Robert Lafrenière, lui, est à la tête de l'UPAC depuis seulement six mois, mais il a intégré dans ses rangs à peu près tous les enquêteurs du Québec, y compris l'escouade Marteau créée en 2009. Des petits poissons ont été arrêtés, mais aucun requin. Rien. Si on le compare au flamboyant Duchesneau, Lafrenière fait pâle figure.

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Robert Lafrenière a fait une déclaration étonnante, hier. C'est bien la seule. Il est contre la tenue d'une commission d'enquête publique, car «ça pourrait affecter nos enquêtes en cours». Encore ce fichu argument. Mais il ne tient pas la route. La commission Gomery n'a jamais empêché la GRC de mener ses enquêtes.

Plusieurs ont reproché à Jacques Duchesneau d'être sorti de son champ de compétence en se prononçant en faveur d'une commission d'enquête. C'est exactement ce qu'a fait Robert Lafrenière, hier. Pourquoi cette soudaine envolée contre la tenue d'une commission d'enquête publique? Est-ce son réflexe d'ancien policier qui le rend frileux? A-t-il été influencé par le gouvernement Charest qui tente désespérément de ne pas créer de commission d'enquête depuis deux ans? La pression sur Charest s'est accentuée la semaine dernière avec le rapport Duchesneau. Tout le monde veut une commission d'enquête, même les policiers de la Sûreté du Québec. La sortie de Lafrenière arrive à point pour Jean Charest qui se retrouve un peu moins isolé.

Mais pourquoi Lafrenière est-il sorti de son devoir de réserve pour se jeter dans le débat?

Des policiers de la Sûreté du Québec ont confié à La Presse que le gouvernement s'ingérait dans leurs enquêtes sur la corruption. «Il n'y a aucune indépendance entre le pouvoir policier et le pouvoir politique», ont-ils dénoncé.

Robert Lafrenière relève du ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil. Il était son sous-ministre lorsqu'il a été nommé à la tête de l'UPAC. Les deux hommes ont sûrement tissé des liens.

Lafrenière jure qu'il jouit d'une totale indépendance, mais son patron, c'est Dutil. Pourquoi ne relève-t-il pas de l'Assemblée nationale, comme le vérificateur qui est nommé par les deux tiers des députés?

Avec sa déclaration contre une commission d'enquête publique, M. Lafrenière s'est mis les pieds dans les plats. Et il a jeté un doute sur son indépendance par rapport au pouvoir politique.