François Legault jure que jamais, au grand jamais, il n'a touché à la drogue. Il n'a jamais tenu un joint entre ses blanches mains. Et il a fait son cégep en deux ans. Lui. Un parcours sans faute, sans retard. Un élève modèle.

Ses deux fils sont au cégep, l'un au privé, l'autre au public.

Pourtant, il tire à boulets rouges sur les cégeps. Ses arguments? Un ramassis de préjugés: la drogue qui est un fléau, les taux de réussite qui sont désastreux et les jeunes qui n'en finissent plus de finir leur cégep.

La réalité: les élèves mettent 2,4 ans à terminer leur cours en formation générale, alors qu'ils devraient en mettre 2. Au secteur technique, ils bouclent leurs études en 3,9 ans, plutôt qu'en 3.

Le taux d'obtention de diplôme? Il est de 72,2% en formation générale et 64,4% au secteur technique. Au secondaire, ce taux est de 72,3%; au baccalauréat, 75,4%.

Où est l'hécatombe de M. Legault?

Je l'ai joint, hier matin. Il était à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. Il partait pour Mont-Joli et son avion avait deux heures de retard. Il a donc eu le temps de m'expliquer son idée et sa «boutade» sur la drogue. Car, a-t-il tenu à préciser, c'était une boutade.

Je n'étais pas la seule à courir après lui. Sa déclaration-choc sur les cégeps a fait sursauter le monde de l'éducation. Même la ministre Line Beauchamp a réagi, qualifiant ses idées «d'extrêmement superficielles». Des «lieux communs», des «préjugés». Elle m'enlève les mots de la bouche.

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François Legault aimerait donc se débarrasser des cégeps, une vieille idée recyclée par des ministres de l'Éducation en mal de réforme.

Les cégeps en ont vu de toutes les couleurs depuis 20 ans. De Lucienne Robillard, en 1993, qui a lancé les cégeps dans une vaste réforme échevelée, à Pierre Reid, en 2004, qui rêvait de cégeps à «géométrie variable». Il avait précisé qu'il n'y avait rien de sacré.

Abolir ou chambarder. Une cible facile, les cégeps.

François Legault a lancé sa bombe la semaine dernière, en réponse à une question posée par un élève lors d'une rencontre à Longueuil. Une question sur la pertinence des cégeps.

Il a répondu en réfléchissant à voix haute, un exercice périlleux. D'abord le constat: les cégeps ne sont pas performants. Il visait la formation générale, le cours de deux ans qui mène à l'université, et non le secteur technique. Sa solution: l'abolir. Le secondaire serait rallongé d'une année, passant de cinq à six ans. Même chose pour le baccalauréat qui passerait de trois à quatre ans.

La même idée avait mijoté à l'époque de Pierre Reid. Les commissions scolaires et les universités salivaient à l'idée de s'arracher les 175 000 cégépiens qui auraient gonflé leurs rangs et leurs coffres. Ils se frottaient les mains. Des vautours.

Le ministère de l'Éducation s'était penché sur la mécanique. Verdict: complexe et extrêmement coûteux: 170 millions par année. Les commissions scolaires et les universités sont incapables d'absorber autant d'élèves, avait conclu le Ministère. Autre question: que faire de tous les professeurs?

Ce constat avait été étalé dans les journaux. Le message était clair: oubliez ça.

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Mais peu importe, François Legault persiste et signe: abolissons les cégeps. Et les commissions scolaires. Comme l'a précisé la ministre Beauchamp, hier: «Chaque fois que M. Legault parle d'éducation, c'est pour abolir une structure.» Elle m'enlève encore les mots de la bouche. C'est rassurant.

Mais revenons à la drogue, le détail le plus croustillant de la déclaration de Legault. Croustillant, mais ô combien révélateur.

Les cégeps? «Une maudite belle place pour apprendre à fumer de la drogue, puis à décrocher», aurait-il lâché lors de la fameuse rencontre.

- Avez-vous vraiment dit ça? lui ai-je demandé hier.

- C'était une boutade, a-t-il répondu. Je faisais référence aux bas taux de diplomation.

- Parce qu'il y a un lien entre la diplomation et la drogue?

- Oui, c'est une cause importante du décrochage.

Comment peut-il, ne serait-ce qu'un instant, croire à une telle sornette, lui, un ancien ministre de l'Éducation? Il ne peut pas plaider l'ignorance. Il a régné sur le monde de l'éducation pendant trois ans, de 1998 à 2001. Il avait imposé des contrats de performance aux universités, une approche comptable simpliste qui avait hérissé les recteurs. Il avait aussi exigé que les écoles secondaires pondent des plans de réussite. Il voulait mettre des chiffres sur tout: évaluer, surveiller et punir.

Par contre, il avait réussi à inculquer un peu de bon sens dans la réforme du primaire et du secondaire qui allait dans tous les sens. Il avait osé abolir les bulletins descriptifs-fleuves et il avait aussi exigé la réécriture du programme pour l'expurger d'une partie de son vocabulaire abscons et de son orgie de compétences transversales.

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Si François Legault prend le pouvoir, il n'abolira pas les cégeps. Il ne veut pas se lancer dans une bataille de structures. Il veut s'en tenir à son programme: éliminer les commissions scolaires, augmenter les salaires des enseignants de 20%, tout en les obligeant à rendre des comptes et à se plier à deux évaluations par année. Surveiller et punir. Encore.

En 1998 aussi, il voulait révolutionner le monde de l'éducation. Ses contrats de performance ont fini en eau de boudin et ses plans de réussite n'ont pas changé la face du monde.

De sa révolution, il ne reste que des miettes. Si j'étais professeur de cégep, je dormirais tranquille.