Suspendus au plafond par les poignets, ongles arrachés, battus avec des barres de fer, chocs électriques, yeux bandés, cagoule sur la tête. Et aucun accès à un médecin ou un avocat.

Le tableau fait frémir, les descriptions sont crues, les témoignages saisissants. Même des enfants de 14 à 17 ans ont été torturés. Cinq adolescents affirment avoir subi les mêmes sévices que les adultes: battus avec des tuyaux ou des fils électriques sur le dos ou la plante des pieds, testicules écrasés. Ils ont craqué et signé de fausses confessions pour que la torture cesse.

C'est l'UNAMA, la mission de l'ONU en Afghanistan, qui lance ces accusations. L'UNAMA a interrogé 379 prisonniers répartis dans 47 établissements du pays, d'octobre 2010 à août 2011. Tous les faits sont consignés dans un rapport de 74 pages. Du solide, du béton.

Sur les 379 prisonniers, 273 étaient détenus dans les locaux des redoutables services secrets afghans, accusés d'être des talibans ou des sympathisants. Ils auraient fabriqué des bombes artisanales ou participé à des attentats suicide. Des 273 prisonniers, la moitié (46%) ont été torturés.

Les prisonniers ont montré leurs cicatrices et leurs blessures. Les témoignages sont directs, crédibles. L'Afghanistan et le gouvernement canadien ne peuvent plus se voiler la face: la torture existe bel et bien et elle est généralisée.

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Kandahar est une des pires provinces. Selon l'UNAMA, 25 des 35 prisonniers détenus dans les locaux des services secrets ont été «systématiquement torturés». Les mêmes histoires d'horreur reviennent: battus, chocs électriques, sévices sexuels, coups de pied à la tête... La plupart des prisonniers passaient 22 jours dans les locaux des services secrets avant d'être transférés dans la prison de Sarpoza.

Drôlement embêtant pour le gouvernement canadien, ce rapport de l'UNAMA.

De 2006 à juillet 2011, les soldats canadiens se sont battus à Kandahar. Lorsqu'ils faisaient des prisonniers, ils les remettaient entre les mains des services secrets afghans qui, eux, les torturaient.

Le Canada a fermé les yeux jusqu'à ce que la réalité lui saute au visage. En avril 2007, le Globe and Mail a écrit que la majorité des prisonniers capturés par les soldats canadiens étaient torturés. Les gouvernements canadien et afghan ont réagi. Ils ont signé une entente pour mettre fin à cette pratique.

Mais la torture a continué. Six mois plus tard, en octobre 2007, je suis allée dans la prison de Sarpoza et j'ai rencontré des prisonniers qui m'ont raconté leur histoire, toujours la même: chocs électriques, battus, suspendus au plafond pendant des heures, privés de sommeil, ongles arrachés.

Nouvel émoi. Le Canada a décidé de suspendre le transfert de ses prisonniers pendant quatre mois. Mais cette décision ne réglait rien. Que faire avec les prisonniers? Comment empêcher un pays comme l'Afghanistan de pratiquer la torture?

Une chose est certaine, le Canada a été complice. Selon la convention de Genève, dès qu'il y a un soupçon de torture, les transferts de prisonniers doivent cesser. Et des soupçons, il y en avait. Beaucoup.

Richard Colvin, diplomate canadien en poste à Kaboul d'avril 2006 à octobre 2007, a alerté le gouvernement à de nombreuses reprises. Il a envoyé 18 rapports alarmants à 75 personnes. Son message était clair et sans ambiguïté: la plupart des prisonniers capturés par les soldats canadiens et remis aux services secrets sont torturés.

Richard Colvin a déballé les sales petits secrets du gouvernement conservateur en novembre 2009 devant un comité parlementaire à Ottawa. Son témoignage-choc était renversant. En avril 2007, lorsque le dossier de la torture est devenu trop explosif, on lui a demandé de ne plus rien mettre par écrit. Tout devait se faire par téléphone. Pas de traces écrites. Surtout pas.

Le gouvernement a tout fait pour le dénigrer. J'ai assisté à son témoignage. Devant les questions des conservateurs, j'ai eu honte. Honte devant leur mauvaise foi, honte devant leur déni et leur tentative pour démolir la crédibilité du jeune diplomate, seul au milieu de la tempête, honte devant tous ces députés qui n'avaient jamais mis les pieds en Afghanistan et qui n'avaient aucun respect pour le courage de Colvin qui, lui, avait passé 18 mois de sa vie à Kaboul au service de l'ambassade du Canada.

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Le Canada s'est retiré de Kandahar en juillet. Dorénavant, il se contentera d'un rôle de soutien. Fini la guerre, les batailles, les prisonniers. Fini les controverses autour de la torture.

Malgré les manoeuvres de diversion du gouvernement conservateur et le mur de silence qu'il a érigé, il reste une évidence: les prisonniers capturés par les Canadiens ont été torturés.

Et ça, plus personne ne peut le nier, même pas Stephen Harper.