En janvier, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, et le président du comité exécutif, Michael Applebaum, ont enfin admis ce que tout le monde savait: les arrondissements sont sous-financés et leurs budgets ont été gelés trop longtemps.

Les arrondissements grattent les fonds de tiroirs: le Sud-Ouest coupe son gazon aux 10 jours pour économiser de l'argent et le Plateau tapisse ses rues de parcomètres et de vignettes pour boucler ses fins de mois. D'autres imposent une taxe locale ou ferment une bibliothèque.

La Ville fixe l'enveloppe budgétaire des arrondissements qui est gelée depuis trois ans. De plus, si un arrondissement crée de nouveaux quartiers, c'est la Ville qui empoche les taxes. L'arrondissement, lui, attend son enveloppe, comme un quêteux. Il n'a aucun pouvoir de négociation.

L'automne dernier, Michael Applebaum aurait préféré se faire arracher les ongles un à un plutôt que d'admettre que les arrondissements avaient raison de se plaindre.

En janvier, le discours a changé du tout au tout. Oui, il y a des injustices, et oui, on va «crever l'abcès», ont dit le maire et Michael Applebaum. Ils ont donc lancé un vaste chantier. «On va faire table rase et tout reprendre à zéro», ont-ils annoncé au cours d'un point de presse.

Michael Applebaum va rencontrer les élus des 19 arrondissements et écouter leurs doléances. Il a juré que l'exercice ne serait pas partisan. L'opération va être menée rondement. Le 24 février, les consultations seront terminées et en juin, le nouveau cadre financier sera adopté. L'objectif: pondre le budget 2013 en tenant compte de la nouvelle formule de financement.

Un projet ambitieux, surtout dans une Ville réputée pour sa lenteur. Mais Michael Applebaum est décidé, la volonté politique est incontestable et l'opposition, prise de court, n'a pas rouspété. Au contraire.

«C'est un intéressant exercice de réflexion», a dit le maire du Sud-Ouest, Benoit Dorais, membre de Vision Montréal.

«C'est une bonne nouvelle», a dit de son côté le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron.

Une rare unanimité.

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«On va partir avec une feuille blanche», a dit Michael Applebaum.

Bonne idée. Cette ville a déjà été trop rapiécée depuis les défusions. Ce n'est pas pour rien qu'elle est aussi incohérente. Pas question de rafistoler une formule boiteuse. D'où l'idée de faire table rase.

La Ville veut s'attaquer non seulement au mode de financement, mais aussi aux inégalités entre les arrondissements.

«Le Sud-Ouest possède cinq piscines intérieures, Côte-des-NeigesNotre-Dame-de-Grâce trois et Verdun aucune, m'a expliqué Michael Applebaum, lundi. Qu'est-ce qu'on fait? Est-ce que tous les arrondissements doivent offrir les mêmes services?»

C'est drôle, les mêmes discussions ont mené à la naissance de Montréal 10 ans plus tôt, une ville qui avait avalé les 27 banlieues et épousé les frontières de l'île.

Une île, une ville avait été créée pour générer des économies d'échelle, c'est vrai, mais le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard voulait aussi que la Ville soit plus juste, que la richesse soit répartie de façon plus équitable, que la population plus riche de Westmount et Hampstead partagent leur richesse avec les «pauvres» de Montréal-Nord et Hochelaga-Maisonneuve.

Mais ce rêve a été torpillé par les défusions qui ont engendré des aberrations. La grande ville a été morcelée. La plupart des arrondissements riches, Westmount et Hampstead en tête, se sont empressés de quitter Montréal. Aujourd'hui, l'île n'est plus une ville forte et unie, elle a été divisée, découpée, morcelée: une ville centre, 19 arrondissements, 15 villes défusionnées et, par-dessus cet enchevêtrement, un conseil d'agglomération qui gère les services communs, comme la police et les pompiers.

Montréal est devenu une tour de Babel bricolée à la petite semaine.

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Montréal est une ville d'une rare complexité. Michael Applebaum a donc décidé de demander à la firme CIRANO, un centre interuniversitaire de recherche, de se pencher sur le financement des arrondissements et de lui faire des recommandations.

François Vaillancourt, économiste, pilote le dossier. Il est épaulé par Jean-Philippe Meloche, urbaniste qui a un doctorat en géographie et une maîtrise en économie. Les deux enseignent à l'Université de Montréal.

Ils veulent d'abord comprendre cette structure unique au monde. Mais pas question d'y toucher. Le maire a été clair, il ne se lancera dans un débat de structures.

Tout est sur la table: les parcomètres, les responsabilités des uns et des autres, le partage des services entre arrondissements, la centralisation, la décentralisation, la péréquation. «Tout est possible», a précisé M. Vaillancourt.

Gros défi.

Mais il ne faut pas rêver en couleur. Les injustices vont être réparées, les arrondissements auront davantage d'argent et les budgets ne seront plus gelés, mais la structure sera toujours aussi malade de ses trop nombreux enchevêtrements.

Il faudrait refusionner l'île au grand complet, revenir à une île, une ville, mais personne ne veut se lancer dans un tel débat et revivre le psychodrame de 2001, où les banlieues fusionnées de force ont fait la guerre au gouvernement.

Montréal restera rapiécé, bricolé, mais au moins, il y aura davantage de justice.