Tout semblait réglé, accepté, coulé dans le béton des silos à grains de la Bunge. Le Moulin à images de Robert Lepage renaîtrait à Québec cet été avec 20% de nouveau matériel et toujours autant de projecteurs et de pixels. Un contrat de cinq ans, 22 millions, négocié par le maire Labeaume lui-même en personne pour stimuler le tourisme et prévenir la dépression post-400e.

La nouvelle aurait dû réjouir les gens de Québec et d'autant plus qu'à la fin de l'été dernier, la direction de la Bunge avait annoncé qu'elle n'était plus intéressée à prêter ses 81 silos à l'équipe de Robert Lepage.

Mais contre toute attente, ce n'est pas la Bunge, mais les conseillers du Renouveau municipal de Québec qui ont failli compromettre le retour de la plus grande projection architecturale au monde en plaidant que les 22 millions devraient plutôt être investis dans l'amélioration des services aux citoyens. Puis, le plus tapageur d'entre eux, Jacques Teasdale, ex-journaliste de TVA et conseiller indépendant pour Lac-Saint-Charles, a eu cette phrase historique: «So what si on perd le Moulin? On l'a eu tout un été de temps, non?»

Pour bien river le clou du Moulin, le conseiller a ajouté: «Si le maire veut nous convaincre d'investir (des millions) dans un seul spectacle à l'intention du gars du Saguenay et du gars de Brossard, il va avoir de la difficulté.»

Heureusement, la difficulté s'est vite résorbée. Le maire n'a eu qu'à brandir la carte surprise d'un spectacle extérieur, itinérant et gratuit conçu expressément pour Québec par le Cirque du Soleil et présenté en complément au Moulin. L'un ne va pas sans l'autre, a-t-il prévenu. Devant la menace de perdre les deux, l'opposition s'est finalement ralliée au maire lors d'une séance extraordinaire du conseil municipal jeudi.

De sorte que si le gars du Saguenay et celui de Brossard décident d'aller à Québec cet été, ils vont avoir deux shows gratuits pour le prix d'un. Et ça ne sera pas du toc, non monsieur!

Malgré cette fin heureuse, je n'arrive pas à m'enlever de la tête que Québec a failli couler son fabuleux Moulin.

N'ayant jamais habité dans la capitale nationale, je ne connais pas l'état des services offerts aux citoyens. En revanche, peu importe où je me trouve, je reconnais des arguments qui puent la démagogie, le provincialisme et l'étroitesse d'esprit.

Prétendre qu'une fois qu'on a vu le Moulin à images, on n'a pas besoin de le revoir est aberrant. Présenter les gens de l'extérieur comme des parasites, qui profiteront d'un spectacle payé par les contribuables de Québec sans rien donner en retour, dépasse l'entendement. Quelqu'un pourrait-il expliquer le principe des retombées économiques à Monsieur Teasdale et à ses amis!

Qu'on l'ait vu une fois ou mille, le Moulin à images demeure pour une vaste majorité non seulement la pièce de résistance du 400e anniversaire de Québec, mais une oeuvre splendide dont la réussite esthétique n'avait d'égal que l'exploit technique sans précédent qu'elle relevait soir après soir. Pour les esprits plus critiques comme le sociologue Joseph Yvon Thériault, le Moulin portait bien son nom: «C'était un moulin, produisant des images d'hommes et de femmes traversant l'Histoire. Le Québec dans tout cela? Un détail dans la grande histoire de l'univers des machines», écrit le sociologue dans un texte assez provocant qui vient de paraître dans la revue Nuit blanche.

Mais que l'on remette ou non en cause la valeur historique du Moulin, on ne peut nier la fascination qu'il exerce sur les foules. Pas plus qu'on ne peut ignorer le caractère unique qui en fait un pôle d'attraction pour lui-même et pour la ville qui l'a vu naître. À l'heure où Montréal se cherche une marque de commerce en se demandant si elle est une ville de créateurs, Québec a pris les devants et décidé d'être une ville de spectacles et de spectateurs. Si le gars de Lac-Saint-Charles ne comprend pas ça, tant pis pour lui.

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