Il y a plusieurs angles sous lesquels envisager la crise municipale qui sévit actuellement. L'angle politique, éthique, électoral ou économique. Mon angle préféré demeure l'angle médiatique qui, aussi anecdotique soit-il, a quand même son importance.

Or, vu sous l'angle médiatique, le grand champion de l'histoire est sans contredit TVA. Oubliez la longue et minutieuse enquête sur la collusion dans l'industrie de la construction produite par l'équipe d'Enquête à Radio-Canada. Oubliez le texte de Fabrice de Pierrebourg paru le 16 octobre sur ruefrontenac.com, le site des lock-outés du Journal de Montréal - qui établissait un lien entre Benoît Labonté et le riche et invincible entrepreneur Tony Accurso. Oubliez le type cagoulé dégoté par Davide Gentile aux nouvelles de Radio-Canada et qui accusait Benoit Labonté d'avoir manipulé trop d'enveloppes brunes.

L'élément-clé, le grand détonateur de cette affaire, est un simple relevé téléphonique brandi par le journaliste vedette de TVA, Paul Larocque le samedi 17 octobre au bulletin de 18 h.

Dès que Larocque a sorti le relevé de son chapeau, c'en était fini de Benoit Labonté. Incapable de nier qu'il avait eu des conversations téléphoniques avec Accurso, il a été obligé de démissionner sur-le-champ et de trouver refuge loin de Montréal pour éviter de mourir foudroyé par le regard accusateur de Louise Harel. C'est ainsi qu'à trois semaines des élections municipales, un simple relevé téléphonique a accouché de l'équivalent d'une bombe à neutrons.

On n'a jamais su comment Paul Laroque avait réussi à mettre la main sur le document. Après tout, les comptes de téléphone ne courent pas les rues, prêts à se jeter dans les mains du premier journaliste, aussi intrépide soit-il. Ce sont des documents personnels et personnalisés que les gens laissent rarement traîner.

Ce que l'on sait en revanche, c'est que ce relevé téléphonique ne pouvait appartenir qu'aux deux personnes impliquées dans l'affaire: soit Benoit Labonté, soit Tony Accurso. En effet, dans son topo du samedi 17, Paul Larocque a d'abord énuméré les appels que Labonté a faits à Accurso.

Puis indiquant du doigt le document, il a ajouté qu'Accurso avait pour sa part fait deux appels à Labonté. J'ai trouvé ça bizarre. Car normalement, un relevé donne les numéros qu'on signale soi-même. Pas les numéros des appels entrants. Du moins c'est le cas chez Rogers. Or, Benoit Labonté était abonné à Rogers. Impossible que les deux appels entrants d'Accurso aient figuré sur son relevé.

Je me doutais bien que Paul Larocque n'allait pas me révéler l'identité de la personne qui lui a refilé le relevé quand je l'ai joint chez lui. Mais peut-être allait-il répondre à question plus simple: Est-ce que c'était le relevé de Benoit ou de Tony? À mon grand étonnement, Larocque a refusé de répondre, se contentant de déclarer: «Ça relève de la protection de mes sources.»

Avait-il encore le document? Non. Il l'avait rendu. À qui? Il n'a pas voulu le dire. J'en ai déduit qu'il l'avait rendu à sa source et que celle-ci pouvait difficilement être Benoit Labonté...

Dans toute mystérieuse affaire, une chose demeure. Paul Larocque a sauvé l'honneur de TVA. Et autant dire que TVA en avait grandement besoin. Cela faisait des semaines que grâce aux journalistes de l'émission d'Enquête, Radio-Canada avait le haut du pavé. Pendant qu'Alain Gravel et Marie-Maude Denis sortaient scoop après scoop sur la collusion et la corruption municipales, TVA dormait au gaz.

Et puis comble de l'injure, voilà qu'un petit vendredi d'octobre, un journaliste en lock-out de Ruefrontenac.com sort une nouvelle fumante. Pas un cadre du Journal de Montréal! Pas un surnuméraire de LCN! Non, un type en lock-out depuis huit mois qui, en principe, devrait être épuisé, démotivé et exsangue et qui, de toute évidence, était pas mal plus fringant que les reporters au chaud dans la salle de nouvelles de TVA.

Imaginez le branle-bas de combat qui a dû avoir lieu ce matin-là à TVA. Imaginez l'urgence nationale qui s'est emparée du service des nouvelles. Vite, trouvez quelque chose! On a l'air de quoi, nous! D'une bande de sous-doués?

Finalement, c'est Paul Larocque qui a sauvé l'honneur de la famille. On ne saura jamais grâce à qui, mais ça serait plutôt rigolo si Tony Accurso avait fourni son propre relevé téléphonique pour prouver que Benoit Labonté avait des fréquentations louches avec... Tony Accurso. C'est un scénario complètement farfelu, j'en conviens, mais avouez que ça ferait une maudite bonne télésérie. On pourrait l'intituler L'invincible et la faire commanditer par Rogers.

 

Photo: David Boily, La Presse

Dès que le journaliste de TVA, Paul Larocque, a sorti le relevé téléphonique de son chapeau, c'en était fini de Benoit Labonté.