Il y a: Papa est en bas qui fait du chocolat, célèbre comptine que tous les parents ont fredonnée à l'oreille de leurs rejetons. Il y a aussi: Papa est en voyage d'affaires, film-phare d'Emir Kusturica et Palme d'or de Cannes en 1985 mettant en scène un père adultère qui ment à son fils. Et désormais il y aura: Papa est en dépression, la touchante petite plaquette de Biz qui vient de paraître chez Leméac sous le titre Dérives et dans laquelle le rappeur de Loco Locass raconte la dépression qui a failli l'engloutir à la naissance de son premier enfant il y a un peu plus de deux ans.

Cela prenait une bonne dose de courage (et aussi un brin d'inconscience) d'accepter de s'exposer ainsi malgré sa notoriété et celle du célèbre trio auquel il appartient. Mais Biz, de son vrai nom Stéphane Fréchette, a accepté de prendre ce risque. D'abord pour se soulager d'un immense poids, et aussi pour partager son désarroi avec d'autres pères pris dans le même étau que lui. Ce récit poignant révèle un Biz qu'on ne connaissait pas et qu'on soupçonnait encore moins. D'abord un écrivain superbe et en pleine maîtrise de sa prose qui, au gré des 94 pages du récit, promène son spleen avec simplicité, lucidité et élégance.

C'est cet écrivain-là qui va nous mener à la rencontre d'un homme au bord du gouffre de la dépression, père absent et épuisé que même le regard pur d'un enfant n'arrive pas à arracher à son marécage intérieur, qui passe ses jours réfugié sur le radeau de son lit, garde dans la bouche «cette putride saveur de tourbe avariée» et dont la tête est aussi «vide qu'un frigo à la fin du mois».

Venant d'un autre, ce cri du coeur m'aurait émue, aurait suscité ma sympathie et ma compassion, mais je n'y aurais vu rien de plus. Le fait qu'il s'agisse de Biz, un artiste engagé, enthousiaste et opiniâtre, qui n'hésite jamais à prendre position sur un éventail de questions politiques et sociales et qui a fait de la souveraineté un combat âpre et quotidien, voire une lutte au finish avec ses adversaires, m'a ébranlée plus que je m'y attendais.

Je suis sans doute un brin naïve, mais je croyais qu'avec le goût du pays et le désir de la souveraineté venaient presque automatiquement une irrépressible envie de vivre et une foi inébranlable dans l'avenir. Comme si la foi souverainiste était une sorte de bouclier à l'épreuve de tout, à plus forte raison de la dépression. Manifestement ce n'est pas le cas.

Biz réserve d'ailleurs à cette question quelques passages éloquents. «Quand on oeuvre à l'envol d'un pays, on peut se brûler les ailes au soleil de la lucidité, écrit-il. À quoi bon en effet s'esquinter pour une nation qui ne croit plus en elle-même. Une nation qui a peur de naître. Une nation éternellement foetale, colonisée congénitalement, qui aspire à se nourrir au placenta fédéral jusqu'à sa mort.»

On croirait Biz inspiré par Lucien Bouchard. En réalité c'est à Hubert Aquin, brillant intellectuel indépendantiste, qui s'est tiré une balle dans la tête quatre mois après l'élection du PQ, que Biz fait référence. Autant dire que si jamais Biz cherchait un antidote à la dépression, ce n'est pas chez Aquin qu'il l'a trouvé.

Mais le plus douloureux dans le récit de Biz c'est qu'il fait écho à la dépression d'un autre artiste engagé et souverainiste, rongé de l'intérieur lui aussi, qui a fini par s'enlever la vie: je parle bien entendu de Dédé Fortin des Colocs, que Biz qualifie de samouraï magnifique et dont il semble trop bien comprendre le désespoir et le suicide.

Évidemment, Biz n'est pas Dédé. La plus grande différence entre les deux, c'est que Dédé vivait dans le déni de la maladie. C'est ce déni qui en fin de compte l'a emporté. Biz, lui, a fini par reconnaître sa maladie et par accepter de la traiter avec des médicaments. Il termine d'ailleurs son récit assez joliment en évoquant le sourire de la pharmacienne, première lumière dans la nuit de son tunnel et premier signe de sa guérison.

Aujourd'hui, Biz se dit parfaitement rétabli, ravi de sa discrète entrée au royaume littéraire et heureux de savoir qu'il sera de nouveau père. En somme, tout est bien qui finit bien. C'est en tout cas l'image que Biz tend à projeter et que les médias s'empressent de relayer en oubliant une seule chose: ce n'est pas parce qu'un créateur écrit et exprime le mal qui le ronge qu'il s'en libère pour autant. La disparition de Dédé, comme celle, récente, de la romancière Nelly Arcan en sont les plus tristes preuves.

J'espère de tout coeur que Biz va aussi bien qu'il le dit et qu'il a réellement retrouvé le goût de vivre. Reste qu'à chaque fois que je l'entends chanter: «Je sais pas c'qui se passe, mais c'est pas rien qu'une mauvaise passe, j'aimerais disparaître comme dans un tour de passe-passe», je me dis qu'il faut rester vigilant.