Il y a exactement sept mois, c'était l'euphorie, les coups de klaxon, les poignées de main, le V de la victoire, les claques dans le dos, les bravos mon Claude! Après 14 années d'âpres batailles légales et juridiques pour faire reconnaître le plagiat et le vol de propriété intellectuelle, dont il avait été victime, l'auteur et dessinateur Claude Robinson venait de remporter sa première grande victoire.

Dans un jugement implacable, le juge Auclair lui avait accordé la paternité complète du personnage et de l'oeuvre de Robinson Curiosité, traitant ses adversaires, les ex-dirigeants de Cinar et leurs associés chez France Animation et Ravensburger, de bandits à cravate et à jupon, qualifiant leur conduite à son égard de scandaleuse, infâme et immorale.

Une grande victoire donc pour Claude Robinson, mais une victoire morale et symbolique. Car même si le juge Auclair condamnait les plagiaires à verser à Robinson, une compensation de 5 millions de dollars (10 millions avec les intérêts), le jugement n'était pas exécutoire.

Autrement dit non seulement les coupables n'avaient pas à verser l'ombre d'un sou à Robinson, mais ils avaient 30 jours pour contester le jugement. Allaient-ils s'en priver? Que non!

Tel que prévu, les adversaires de Robinson se sont donc prévalus du droit d'appel leur permettant de gagner du temps, de traîner Robinson à nouveau en cour, de l'avoir à l'usure et, avec un peu chance, de le ruiner.

Étant donné la précarité financière de Robinson qui depuis 14 ans se consacre corps et âme à cette cause qui a bouffé sa santé et sa raison, j'ai toujours eu de la difficulté à comprendre la décision du juge Auclair de ne pas exiger une compensation financière immédiate. Pourquoi le juge s'est-il gardé cette dernière petite gêne? Mystère.

Quant aux avocats de Robinson, s'ils n'ont pas déposé de requête pour une compensation immédiate, c'était, si j'ai bien compris, pour ne pas allonger indûment un processus qui de toute façon menaçait de se solder par un appel, ce qui fut effectivement le cas.

Il n'en demeure pas moins que le résultat combiné de la décision du juge et des avocats de Robinson a eu des effets pernicieux sur l'opinion publique.

Encore aujourd'hui, le grand public est convaincu que Claude Robinson a remporté une victoire morale ET financière. Dans son esprit, Robinson a gagné le gros lot et, depuis, il se prélasse au soleil sur son île avec ses millions.

Autant dire que rien n'est plus faux. Sept mois après le jugement Auclair, Robinson est plus endetté que jamais. Il doit en plus rédiger un long mémoire - un autre - en prévision de l'appel déposé par Cinar et ses associés, et qui ne sera pas entendu, tenez-vous bien, avant l'été 2011!

D'ici là, tout seul sur son île, Robinson doit se préparer à affronter plus d'une douzaine des plus grands juristes montréalais dont Raynold Langlois qui défend les intérêts de Ronald Weinberg et William Brock mandaté pour défendre Cinar. Les deux ont déjà annoncé leurs couleurs et entendent bien démontrer chacun à leur manière que le juge Auclair a erré. Bref, c'est le retour à la case départ pour Claude Robinson, avec en prime, l'essoufflement psychologique et la perspective d'une possible ruine financière.

Par solidarité, mais aussi pour briser le mythe d'un Robinson heureux sur son île, des amis et des sympathisants lanceront mercredi une vaste campagne de souscription pour lui venir en aide.

Coiffée du titre Opération Claude Robinson, cette initiative citoyenne est menée par Simon Jodoin du magazine web BangBang, par le PDG de Voir, Pierre Paquet, un ami personnel de Robinson, et par la Société des auteurs de radio, de télévision et de cinéma, la Sartec. Les trois instances espèrent recueillir 250 000 $ d'ici le printemps 2011. Le tout se fera par le truchement d'un site web qui sera officiellement inauguré mercredi à l'adresse: www.clauderobinson.org.

Les fonds seront recueillis par la Sartec, puis déposés dans le compte de la Culture de Desjardins comme ce fut le cas lors d'une première campagne de financement.

Il y a deux ans, en faisant appel uniquement à ses membres scénaristes, qui ne sont pas les gens les plus riches au monde, la Sartec avait réussi à récolter 84 000 $ pour Robinson.

Cette fois-ci, la campagne de financement vise la population en général pour qui Robinson est devenu une sorte de héros de la résistance et le symbole du petit qui refuse obstinément de plier devant la force du pouvoir et de l'argent.

Les Québécois donnent généreusement aux organismes de charité et à ceux qui viennent en aide aux pays frappés par des catastrophes humanitaires. Ils ont moins l'habitude de donner pour la défense d'une cause ou d'un individu. Souhaitons que cela change avec Claude Robinson et que son courage inspire l'avènement d'une nouvelle tradition.

 

Photo: André Tremblay, archives La Presse

Claude Robinson