Lise Bissonnette a toujours eu le sens de la formule. Et cette semaine, à Québec dans le cadre de la Journée du livre politique, l'ex-directrice du Devoir et de la Grande Bibliothèque s'est surpassée en chargeant à fond de train contre «la frénésie d'hyperactivité web» et contre ces journalistes qui se dispersent dans des pages Facebook, dans des blogues ou sur Twitter. Bissonnette n'a guère été plus tendre pour ceux qu'elle qualifie de «communauté de placoteux» et de «public gazouillant» que l'on prend à tort, selon elle, pour l'expression de l'opinion publique.

Je croyais que la riposte, le lendemain sur le web, serait cinglante. Il n'en fut rien. Ou bien les twitterers, les facebookiens et leur communauté de placoteux dormaient au gaz. Ou bien, gênés de s'en prendre à une interlocutrice aussi crédible, ils ont préféré regarder ailleurs et faire comme si la critique de Bissonnette à leur endroit n'avait jamais existé. Quelques-uns se sont quand même risqués sur le sujet, mais deux fois sur trois, c'était pour signaler ironiquement les propos de Bissonnette plutôt que pour les analyser. Ce qui en soi est assez symptomatique d'une communauté où l'on est tellement occupé à s'autocongratuler et à s'autopromouvoir qu'on ne prend jamais le temps de s'arrêter pour envisager ce que l'on fait, avec une distance critique et un certain recul.

 

Cela dit, madame Bissonnette y va un peu fort en disqualifiant tout ce qui se fait sur le web au plan politique. Que certains journalistes s'y dispersent, c'est vrai. Mais la dispersion ne date pas d'hier. Du temps où Lise Bissonnette était au Devoir, elle pouvait dans une même semaine rédiger trois éditoriaux fleuve, tous lourds de sens et magnifiques de clarté, signer le samedi une chronique plus personnelle semblable aux blogues, tout en bouclant un roman et en faisant quelques apparitions à la télévision, histoire de participer pleinement à ce qu'elle qualifiait d'industrie du commentaire.

C'est clair que cette industrie s'est beaucoup développée depuis et que son temps de réaction a diminué considérablement, lui faisant gagner en vitesse ce qu'elle a perdu en profondeur et en contenu. Mais entre-temps, le web a aussi accouché de sites politiques riches et pertinents comme Politico, Huffington Post, Salon ou, comme on l'a découvert cette semaine, Wikileaks, qui a mis la main sur ces terribles images datant de 2007 où des pilotes américains en Irak visent et tuent sans sourciller des journalistes égarés sur le terrain. En ligne depuis 2006, Wikileaks a produit plus de scoops pendant sa courte vie que le Washington Post en 30 ans.

Quant au public que Bissonnette qualifie de «gazouillant et de placoteux», elle a tort de se montrer aussi condescendante à son égard, mais raison de remettre en cause sa représentativité. Si les placoteux sont représentatifs, c'est d'abord d'eux-mêmes, puis d'une infime partie de la population et de l'opinion publique. En plus, beaucoup de ces placoteux entretiennent eux-mêmes un blogue, une page Facebook et un compte Twitter. Ils se répondent les uns les autres dans un dialogue en circuit fermé qui finit par tourner en rond, quand il ne se mue pas en insupportable soupe autopromotionnelle.

Pour s'en convaincre, il suffit d'aller sur le site de Michelle Blanc, la papesse de la communauté web au Québec. Jeudi, le premier élément sur son site était une invitation à aller la voir livrer sa 22e chronique à l'émission de télé LeLab, suivie d'une invitation à relire et à revoir ses sept derniers billets, suivi, trois éléments plus bas, d'une autre invitation à aller la voir livrer sa 21e chronique à l'émission LeLab. Si seulement Michelle Blanc était la seule, mais l'autoplogue compulsive est la norme parmi les placoteux. Lisez-moi, regardez-moi, écoutez-moi. Moi, moi, moi... Ce nombrilisme extrême, à mon avis, est bien plus déplorable que le placotage, le gazouillis ou la dispersion.