«Pourquoi écrire une bio non autorisée sur Oprah? Parce qu'elle est peut-être la femme la plus puissante du monde, qu'elle nous dicte quoi manger, quoi porter, quoi penser, quoi lire et pour qui voter. Compte tenu de son immense influence depuis plus de 25 ans, le grand public est en droit d'en savoir un peu plus sur une femme qui joue à la transparence, mais qui est bien plus secrète qu'on le pense.»

Ainsi parlait Kitty Kelley, l'auteur de la bio sur Oprah, l'autre matin à la télé. Depuis la parution de la brique de 445 pages, rappelons que la biographe est boudée par les plus importants animateurs des réseaux américains, des gens comme Larry King, David Letterman et Barbara Walters, qui ne veulent pas prendre le risque de contrarier leur «amie» Oprah en accueillant à leur émission une femme qui, selon certains, produit de la kitty litter: de la littérature en forme de litière à chat.

Si Kelley produit effectivement de la litière, disons au moins que c'est de la litière mieux écrite et mieux documentée que celle qu'on retrouve dans trop de bios non autorisées. Et puis, Kelley vient combler un vide creusé par Oprah elle-même, qui a récemment annulé la publication de sa propre autobiographie pour protéger son image. Reste que pour quiconque n'est pas une exégète d'Oprah, ne regarde pas son talk-show tous les jours à 16h depuis 25 ans, n'achète pas son magazine O avec sa photo en couverture tous les mois depuis dix ans et ne suit pas ses faits et gestes, le bouquin est un très bon résumé de l'ascension phénoménale d'une femme noire, née pour un petit pain dans un bled perdu du Mississippi (Kosciusko) en pleine ségrégation et qui, à 15 ans, rêvait déjà de devenir la femme noire la plus riche et la plus puissante de la terre. D'ailleurs, Ketty Kelley ne s'empêche jamais de célébrer l'énergie, le tonus, le cran, le courage et la grande générosité d'une femme partie perdante dans la vie et qui par la force de sa détermination est montée jusqu'au sommet.

En même temps, et c'est la nature du genre, Kelley revient sur les éléments les moins glorieux de la vie d'Oprah: sa naissance d'une mère trop jeune qui l'a régulièrement abandonnée et envoyée chez un père qui ne serait pas son vrai père. L'agression sexuelle d'un oncle alors qu'elle n'avait que 9 ans. Une vie sexuelle débridée à l'adolescence, émaillée de prostitution et d'une grossesse à 14 ans. La mort du bébé. Le secret dans lequel elle s'est emmurée. La trahison de sa demi-soeur junkie qui a vendu la mèche à un tabloïd. Son usage du crack et de la cocaïne et ses batailles sans fin avec son poids.

Mais ces révélations connues jouent en faveur d'Oprah et montrent quels cruels obstacles elle a dû surmonter. C'est plus tard, lorsqu'elle devient une vedette, une icône et un monstre sacré, que l'aspect monstrueux de son ego boursouflé émerge. Le récit du jour où elle s'est présentée à une boutique Hermès de Paris, qui était fermée pour une fête privée, est éloquent. La gérante, qui ne connaissait pas celle qui frappait contre la vitrine en gesticulant, a refusé de lui ouvrir. La pauvre! Ce fut un des moments les plus humiliants de toute ma vie! a tonné Oprah à l'émission où elle avait invité le président de Hermès pour se venger. Le plus humiliant? Vraiment?

Je n'ai jamais été une grande fan d'Oprah. Du moins pas celle qui a inventé la télé-poubelle et qui a institutionnalisé la victimisation. J'aime mieux celle qui a vendu Obama aux Américains et qui a remis les livres au goût du jour. Or, paradoxalement, cette bio qui décline ses failles et évoque le monstre d'égocentrisme qu'elle est devenue, me l'a rendue plus humaine et encore plus admirable. Quoi qu'en pense Oprah, en racontant sa vie en dents de scie, Kitty Kelley lui a rendu service.