Le Canadien de Montréal n'est pas un club. C'est une bulle qui peut parfois contenir une ville, une île, un peuple. La bulle a beau être éphémère, son effet est toujours le même: il nous unit, nous réunit, nous soude et nous permet une fois par année de ne faire plus qu'un, d'être collectifs. Enfin!

Mercredi soir, la direction du Centre Bell a eu la bonne idée d'ouvrir ses portes et de permettre à 20 000 fans d'assister au match virtuel du Canadien contre les Penguins. La direction du Forum de Montréal avait fait de même en 1993, la dernière année où le Canadien a remporté la Coupe Stanley. Est-ce un signe?

Chose certaine, les 20 000 fans, composés à 70 % de jeunes maquillés et habillés aux couleurs du Canadien, n'ont pas pensé une seconde qu'on les traitait avec condescendance ni qu'on leur offrait les miettes d'un spectacle qu'ils n'auraient jamais les moyens de se payer. Ils ont profité du moment, de l'atmosphère et du lieu. Point. Et même si un Martien débarquant au Centre Bell mercredi soir aurait pu trouver étrange tout ce monde réuni autour d'une patinoire lisse et vide, les partisans du Canadien, eux, n'y ont vu que du feu. Du feu sur écran géant.

Quelques heures plus tard, le plus frappant des images diffusées par les bulletins de nouvelles n'était pas que la foule en liesse du Centre Bell était survoltée et fière comme si elle avait elle-même livré le match victorieux. Le plus frappant, c'était son manque d'uniformité. Blancs, Noirs, Haïtiens, Arabes, Asiatiques, anglos, francos, ne manquait qu'une fille en burqua aux couleurs du Canadien pour compléter ce tableau de gens bigarrés se déversant dans l'air doux de la nuit.

Mais le plus beau, c'est que cette communion spontanée ne se limitait pas aux abords du Centre Bell. Partout en ville, gais, lesbiennes, féministes, intellos, universitaires, artistes, chauffeurs de poids lourds, mathématiciens, hommes d'affaires et ballerines, autant de gens qui pendant le reste de l'année n'en ont peut-être rien à cirer du hockey mais qui, mercredi soir, s'étaient réunis devant leur télé pour vivre ensemble la fièvre du hockey.

C'est rare de voir autant de gens issus de groupes, de grappes et d'horizons différents vibrer autour d'une cause commune. Je ne vois qu'une seule autre fois par année où ça se produit: au Festival de jazz de Montréal. Certaines nuits chaudes de juillet, angle Jeanne-Mance et Sainte-Catherine, nous ne faisons qu'un, nous sommes à nouveau collectifs.

Il y a toutefois une différence et elle est de taille: le Festival de jazz ne nous apporte ni la joie de la victoire ni l'amertume de la défaite. Il manque au Festival cette touche dramatique, cette participation active à un processus en cours dont le dénouement est toujours imprévu. Au mieux, ce dénouement se solde par une ovation debout comme après un concert inspiré. Au pire, il se solde par un concert de huées et un sentiment d'échec.

C'est ce qui fait la beauté d'un match de hockey. On ne sait jamais ce qui va arriver, comment ça va finir, mais on est prêts à rester jusqu'à la fin. Ce qui fait encore plus la beauté du hockey, c'est qu'on peut y adhérer comme à une religion, à une culture ou à un pays sans que ça porte à conséquences ni que ça nous engage à quoi que ce soit. Sa beauté, en fin de compte, c'est sa liberté.

Demain soir, toute la ville va à nouveau devenir hockey sauf pour un petit groupe de gens. Les humoristes québécois ont en effet eu le malheur de tenir le gala Les Olivier demain. Autant dire que pour une fois, ils ne feront rire personne.

Mais c'est normal. Le rire suppose une certaine distance qui n'existe pas dans la bulle du hockey. Dans un mois, cette bulle aura crevé et les humoristes reprendront leur place. En attendant, profitons de cette magnifique bulle de feu et de passion pendant qu'elle passe.