«Ils le diront jamais tel quel aux nouvelles, mais le tissu social de Montréal, c'est de la sainte flanelle. Quand y'est question de hockey, nous, on fait pas dans la dentelle. O.K.? C'est plus qu'un sport, c't'une métaphore de notre sort.»

- Extrait de la chanson Le but

Avec un sens de l'à-propos qui l'inspire toujours au bon moment, le groupe Loco Locass a eu l'idée de composer un hymne au club Canadien. Certains plaident que cet hymne ressemble trop à celui qu'il a écrit en plein lock-out du Journal de Montréal pour la téléréalité Québec-Montréal de Quebecor et que pour ces raisons-là, il n'est pas recommandable. Mais ce n'est pas ce que pensent la majorité des partisans du Canadien ni les 10 000 personnes qui ont téléchargé légalement l'hymne à la rythmique percutante et au refrain accrocheur.

Pour ma part, chaque fois que j'entends résonner les premiers accords de cette chanson judicieusement intitulée Le but, j'attends avec anticipation le passage où les membres de Loco Locass chanteront: «C'est plus qu'un sport. C'est une métaphore de notre sort.»

J'aime l'idée qu'on ait glissé le mot métaphore dans une chanson populaire reprise par des milliers de partisans qui ne savent probablement pas à quoi ressemble une métaphore ni ce qu'elle mange pour déjeuner. J'aime l'audace littéraire de ce couplet et le fait qu'il donne une sorte d'épaisseur sociale et philosophique à ce qui pourrait n'être qu'un banal produit de consommation sportive.

En même temps, lorsqu'on creuse trop la métaphore de Loco Locass, on trébuche sur des réalités gênantes, l'une étant le refus spontané du Centre Bell de diffuser la chanson. L'organisation a finalement changé d'avis hier et décidé de procéder demain. N'empêche, c'est un brin navrant d'avoir tant tardé de la part d'une organisation qui aurait pu faire un effort de francisation par respect pour tous les partisans qui ne parlent pas la langue de Bob Gainey et qui la comprennent encore moins.

Au lieu de profiter du moment pour rendre hommage à la culture québécoise et à la ville d'expression française qui porte et soutient le Canadien depuis 100 ans, le Centre Bell a longtemps célébré la musique de Metallica, Coldplay ou U2, un groupe irlandais dont le sport national est le football gaélique et le hurling.

C'est quoi le rapport? demandait Chafiik de Loco Locass à mon collègue hier dans La Presse. En effet. Ce n'est pas parce que les Montréalais ont acheté les 140 000 billets mis en vente pour les concerts de U2 cet été, qu'il fallait nous casser les oreilles et nous laver le cerveau avec leur musique jusqu'à la fin des temps.

Ironie du sort, pendant que le Centre Bell refusait de diffuser Le but, la CBC s'en donnait à coeur joie et ne se gênait pas pour la diffuser en début de match. Le très «Canadian» Don Cherry a même eu quelques bons mots à l'égard de cette chanson. C'est tout dire.

Sauf que cette fleur de la CBC fait ressortir encore plus cruellement l'état lamentable, non seulement de notre sort, mais celui de la Société Radio Canada, qui a stupidement laissé aller le hockey en 2004 par décision de Daniel Gourd son vp et de son président Robert Rabinovitch. Merci les boys. C'est tout un cadeau que vous avez fait au public québécois.

Depuis, les parts de marché de la télé publique n'ont cessé de rétrécir comme peau de chagrin et encore davantage pendant les séries éliminatoires.

Le fond du baril a été atteint dans la semaine du 26 avril avec un résultat de 11,6 % pour la SRC. Pendant ce temps-là, RDS, qui appartient à CTV-Globemedia, un conglomérat de Toronto, fait des profits records et augmente ses parts de marché de façon exponentielle.

Pendant ce temps-là aussi, les Québécois d'expression française qui n'ont pas le câble ou pas les moyens de se payer RDS, n'ont d'autre recours que de regarder les matchs du Canadien en anglais sur la CBC et de se farcir les facéties de Don Cherry. C'est plus qu'un sport. C'est une métaphore de notre sort. En effet.

Si nous vivions à l'époque de Maurice Richard, une telle situation ne passerait pas la rampe. Les partisans monteraient aux barricades et déclencheraient une émeute contre la mainmise de Toronto sur le Canadien de Montréal. Mais l'époque de Maurice Richard est révolue. Aujourd'hui, les fiers partisans du Canadien chantent du U2 au Centre Bell et font grimper les revenus publicitaires de deux réseaux basés à Toronto.

Il y a trois ans, le directeur des sports de la SRC avait annoncé à grand renfort publicitaire que le hockey reviendrait coûte que coûte à Radio-Canada. Le directeur est parti et le hockey, lui, n'est jamais revenu. En principe, l'entente entre RDS et le Canadien vient à échéance en 2013. Mais à ce moment-là, les partisans québécois du Canadien auront beau entonner Allez, Montréal, je doute qu'ils réussissent à convaincre une SRC déficitaire de cracher les millions nécessaires pour arracher les matches du Canadien à Toronto. J'espère que je me trompe, mais quelque chose me dit qu'en 2013, notre sort ne sera plus une métaphore, mais une cause désespérée.