La chanteuse pop M.I.A, de son vrai nom Maya Arulpragasam, est une native du Sri Lanka qui a grandi dans une banlieue pauvre au sud de Londres. Un jour, un travailleur social du coin, inquiet de voir qu'elle avait décroché de l'école, l'a interpellée: «Tu ne vois pas que si tu continues comme ça, tu vas finir dans ces HLM avec six enfants avant même d'avoir 20 ans!» lui a-t-il lancé pour la secouer.

La décrocheuse l'a écouté et s'est inscrite au Central Saint Martin's College of Art and Design de Londres. Lors de son entrevue avec le directeur des admissions, Maya lui a annoncé que si sa candidature était refusée, elle ne pourrait que devenir pute, toxico et criminelle. Le directeur n'a pas apprécié le chantage émotif, mais il a fini par l'admettre. En 1993, à l'âge de 18 ans, Maya avait déjà beaucoup de chien et de la suite dans les idées.

Cette anecdote fait l'objet d'un texte de la journaliste Lynn Hirschberg dans le New York Times. L'article, qui vient de paraître, fait 17 pages, ce qui n'est pas peu dire, et témoigne de l'intérêt du journal pour cette jeune chanteuse hip hop engagée, controversée et politisée qui n'hésite pas à défendre publiquement la cause des Tigres tamouls, un groupe terroriste du Sri Lanka. Chanteuse aussi dont le dernier vidéoclip intitulé Born Free et réalisé par Romain Gavras (le fils de Costa-Gavras) met en scène le massacre sanglant d'une bande de jeunes rouquins par une milice américaine brutale et sans morale.

Maya, on le voit, ne fait pas dans la dentelle et semble attirée par la controverse. L'article du Times évoque longuement cet aspect de sa personnalité, mais pour mieux conclure que la chanteuse n'est pas tant une artiste engagée qu'une hypocrite obsédée par son image et son autopromotion, et qui fait semblant de s'intéresser au sort des pauvres et des opprimés alors qu'elle vit à Beverly Hills avec un des fils Bronfman.

On pourra toujours s'interroger sur la logique d'un journal qui consacre 17 pages et une galerie complète de photos à une artiste pour mieux la descendre en flammes. Il n'en demeure pas moins que la principale intéressée n'a pas apprécié. Sa riposte a été violente: elle a diffusé le numéro du portable de Lynn Hirschberg sur l'internet avant de l'assortir d'une nouvelle chanson, I Am a Singer, critique virulente des journalistes décrits comme des gens aussi épais que de la merde et qui mentent pour le pouvoir et le jeu politique. Les nouvelles sont une opinion en soi, a-t-elle par la suite annoncé sur Twitter en promettant à ses fans l'enregistrement intégral de son entrevue avec Lynn Hirschberg. Mais jusqu'à maintenant, Maya n'a mis en ligne sur son site web que deux courts extraits, dont celui où elle commande des frites ordinaires et non les frites aux truffes que lui fait manger Hirschberg dans son article.

Les artistes engagés, ou du moins ceux dont c'est la marque de commerce, posent toujours le même problème aux journalistes. Ils nous attirent et nous captivent parce qu'ils ont une opinion sur tout, ou alors une quelconque cause à défendre, et que cela fait généralement de la bonne copie. En même temps, quand on s'approche le moindrement d'eux, c'est difficile de ne pas voir les failles dans leur discours, les simplifications idéologiques dans leur propos et les contradictions entre ce qu'ils prêchent et ce qu'ils vivent.

Reste que j'aime bien ces artistes qui se mouillent, se compromettent, dérangent en débitant des énormités qui font parfois chuter leur popularité. Plutôt que de fermer leur gueule pour faire le moins de vagues possible et vendre un maximum de disques, ils essaient au moins de dire quelque chose. Ils ont peut-être trop d'opinions et pas toujours les plus judicieuses, mais c'est mieux que de ne pas en avoir du tout.