Pour cette dernière chronique avant l'été, permettez-moi une prédiction. Quel sera le gros succès au cinéma cet été? Quel film fera sonner les caisses enregistreuses et jaser les vacanciers? Entre ciel et terre, le film sur la vie turbulente du commandant Robert Piché.

Voilà pourtant un film qui n'a pas eu la gestation facile. Qui a été plombé dès sa naissance. Insuffisance des fonds par rapport à l'ampleur technique du projet. Démission-choc du réalisateur Érik Canuel à deux mois du tournage. Arrivée précipitée du réalisateur Sylvain Archambault, dont la réputation allait être un brin ternie quelques mois plus tard par l'échec du film Pour toujours les Canadiens. Ajoutez à cela le sujet affolant d'un crash d'avion qui n'a pas eu lieu, mais qui aurait très bien pu se produire, et un pilote qui a fait de la prison pour trafic de drogue et qui combat des problèmes d'alcool, et vous n'avez pas précisément une histoire gagnante.

 

Pourtant, je le répète, Entre ciel et terre sera probablement le grand succès de l'été 2010. À cause du commandant Piché? Non, à cause des 20 dernières minutes du film qui nous font vivre avec un réalisme troublant, et une efficacité à tout casser, le fameux atterrissage d'urgence du vol 236 d'Air Transat aux Açores en 2001.

Ces 20 dernières minutes sont à ce point captivantes qu'elles rachètent les maladresses du film, gomment ses lourdeurs et nous laissent avec le sentiment euphorisant d'avoir, nous aussi, échappé à la catastrophe.

On a tous pris un avion pour quelque part. On a tous eu peur que cet avion s'écrase. Et à la moindre turbulence, on a tous imaginé ce qu'on ferait si, par le plus malheureux des hasards, le grand oiseau à bord duquel on s'est envolé devait piquer du nez. Or, c'est précisément cette peur commune, profonde et universellement partagée par tous les passagers d'avion qui nous rive à notre siège et nous touche en plein coeur pendant les 20 dernières minutes d'Entre ciel et terre.

Ces 20 dernières minutes sont à la fois un morceau d'anthologie du cinéma québécois et l'exemple éclatant d'une maximisation budgétaire parfaitement réussie. Pas une fois pendant ces minutes où tout se joue n'a-t-on l'impression de regarder un film tourné avec un budget de 7 millions, somme dérisoire pour ce type de film.

Au contraire. L'illusion est si bien rendue qu'on a l'impression que le budget de ce film était au moins de 20 millions.

La collaboration d'Air Transat y est pour quelque chose. Le transporteur a loué à la production un avion et lui a facilité la vie à l'aéroport Montréal-Trudeau comme sur les pistes d'atterrissage. Mais son plus beau cadeau, c'est d'avoir accepté de jouer le jeu de la vérité, sans retirer son nom ni son logo et en s'assumant pleinement dans cette histoire. À cet égard, Air Transat a fait preuve d'une grande audace.

D'autant plus que ce film est une arme à double tranchant. D'un côté, il y a le sang-froid et l'héroïsme du pilote d'Air Transat qui a sauvé 306 vies et dont l'exploit déteint positivement sur le transporteur. Mais de l'autre, il y a la presque catastrophe qui a failli avoir lieu et qui, reproduite sur grand écran, pourrait par effet d'association décourager les gens de voyager avec Air Transat. De toute évidence, Air Transat était conscient du risque et l'a accepté.

Ce film a un dernier mérite. Il ne nous présente pas un saint et un sauveur, mais un cowboy, un noceur, un pilote de brousse dont le passé lourd et pas très glorieux lui a, paradoxalement, donné la témérité nécessaire pour sauver des vies. Ça fait du bien de se faire rappeler des réalités comme celles-là au cinéma.

Sur ce, chers lecteurs, je vous quitte pour l'été, en priant pour que l'avion que je vais bientôt prendre sera piloté par un homme qui a d'aussi bons réflexes que le commandant Piché.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca