Avec sa couverture qui rappelle un dépliant de CLSC, ses caractères d'impression tellement petits et serrés que leur lecture peut facilement rendre bigleux et une facture graphique qui confine à l'ennui, Être ou ne plus être des médecins Marcel Boisvert et Serge Daneault n'est pas un livre qu'on a tout de suite envie de lire. Ajoutez à cela deux auteurs qui, d'entrée de jeu, se comparent à Sartre et Camus et qui le font autour d'un sujet - l'euthanasie - qui pèse trois tonnes et voilà réunies plusieurs bonnes raisons de fuir cet ouvrage comme la peste.

Mais sachez que la fuite serait une erreur. Une très grave erreur. Car ce livre qui n'a l'air de rien, ce livre qui ne paie pas de mine, est en réalité un trésor.

Fruit d'une correspondance entre deux médecins pour qui les malades en fin de vie n'ont plus aucun secret, Être ou ne plus être est un livre passionnant. En fait, c'est mieux qu'un livre passionnant. C'est un grand livre, écrit par deux hommes, semblables mais opposés qui, en plus d'être des praticiens d'expérience, sont des intellectuels brillants et vigoureux, des écrivains sensibles et engagés et enfin, des philosophes capables de s'élever au-dessus du débat primaire et de son chapelet de pour et de contre, pour embrasser chacun de son côté avec ses idées, ses convictions et ses divergences, la formidable complexité entourant la question de l'euthanasie.

Bref, ce à quoi Marcel Boisvert et Serge Daneault nous convient est un débat de haut niveau dont devraient s'inspirer tous ceux qui se préparent à aller témoigner à la commission sur l'euthanasie.

D'entrée de jeu, dans cet aller-retour épistolaire qui n'est jamais aride à lire et qui pourtant ne fuit pas la profondeur, le lecteur aura sans doute le réflexe de donner raison à celui qui partage sa position sur l'euthanasie. C'est ce qui m'est arrivé. Viscéralement opposée à l'euthanasie, j'ai commencé par boire toutes les idées de Serge Daneault, qui fait de la médecine palliative depuis une trentaine d'années et encore aujourd'hui, notamment à l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Notre-Dame.

Quand il déclare que l'euthanasie demeure à ses yeux la manifestation la plus triste du désespoir et qu'il faut inviter tous ceux qui souffrent à ne pas y céder, je ne peux qu'être d'accord. Idem lorsqu'il écrit: «Il y a une toute petite différence entre la sédation (palliative) et l'euthanasie mais elle est d'une importance capitale: dans le cas de la sédation (palliative), la médecine aide efficacement à supporter la souffrance. Dans celui de l'euthanasie, la médecine supprime la souffrance en supprimant la personne souffrante.»

Je partage enfin sa vision d'une civilisation qui définit l'être humain par ce qu'il fait et non par ce qu'il est, civilisation qui, dès lors que le peintre ne peut plus peindre ou que le prof ne peut plus enseigner, condamne ces derniers à la mort à plus ou moins brève échéance.

Reste que plus j'avançais dans Être ou ne plus être, plus les idées de Marcel Boisvert, qui fut longtemps à l'unité des soins palliatifs du Royal Vic, m'interpellaient et me touchaient malgré notre opposition face à l'issue finale. Son appel à la liberté de choix et son plaidoyer pour l'autodétermination du mourant qui, selon lui, n'a pas à être privé de sa propre mort par un état paternaliste, sont difficilement contestables. «Cette persistance paternaliste à servir la vie jusqu'au dernier souffle à l'encontre des valeurs du malade, prend les allures d'une idéologie: servir une idée au détriment d'un humain», écrit-il à juste titre dans une lettre qui fait subtilement ressortir le caractère religieux des arguments anti-euthanasie.

En fait, par une étrange osmose, j'en suis venue à adopter les idées du Dr Boisvert ou du moins à les comprendre et à en apprécier l'humanisme et l'intelligence. J'aurais dû, dans l'exercice, prendre mes distances des propos de Serge Daneault. Il n'en fut rien. Même si par moments, je me méfie de son côté curé, Daneault finit toujours par me rallier par la puissance d'une réflexion vivante et jamais désincarnée. Lors de sa dernière lettre à Marcel Boisvert, Daneault a l'humilité de conclure que ce sont en fin de compte les expériences de la vie et non pas les idées, qui forgent les opinions des êtres humains.

«Je dirais que la souffrance dont tu fus témoin dans ta vie t'a souvent paru ignoble et inacceptable. C'est pourquoi la perspective de la vivre et de la faire vivre te paraît scandaleuse», écrit-il à Boisvert, ajoutant: «Pour ma part, j'ai trop vu de fins de vie où l'inattendu survient sans avertir, où un bonheur ultime se glisse au détour d'un mot, d'un pardon, d'un dernier je t'aime, pour risquer une seule fois d'empêcher ce bonheur par la provocation délibérée de la mort.»

Ainsi se conclut un livre délicat et touchant, où personne n'est défait ni battu, où le débat entourant l'euthanasie perd en simplisme et en raccourcis ce qu'il gagne en richesse, en humanisme et en profondeur. Sartre et Camus n'auraient pas fait mieux.