Si la crise d'Octobre avait lieu aujourd'hui, le FLQ n'aurait plus besoin des journalistes de CKAC à qui transmettre leurs communiqués, ni de Gaétan Montreuil pour lire leur manifeste à la télé. Ils lanceraient le tout directement sur le web, créeraient une page Facebook avec la liste de leurs revendications et s'ouvriraient un compte Twitter qu'ils alimenteraient, tous les jours ou toutes les heures, des derniers développements de leurs négociations avec la police ou le gouvernement. Réalité ou fiction?

Les enthousiastes et fidèles pratiquants des réseaux sociaux vous diront qu'à l'ère de Facebook et de Twitter, c'est ainsi que les choses se passeraient et qu'il ne pourrait en être autrement. Ils ont peut-être raison, mais si c'était le cas, qu'est-ce que ça changerait? Est-ce que le FLQ réussirait à obtenir une meilleure égalité sociale? Est-ce que son armée de sympathisants grandirait à vue d'oeil au point de se mobiliser, de descendre dans la rue et de protester jusqu'à ce qu'une solution humaine et équitable vienne régler la crise? Jusqu'où les militants mobilisés par Facebook et Twitter seraient-ils prêts à aller pour faire avancer la cause?

C'est le journaliste, écrivain et chercheur Malcolm Gladwell qui m'amène à ces questions. Dans le percutant article paru cette semaine dans le New Yorker, Gladwell examine le militantisme et l'engagement politique au temps de Facebook. Le journaliste n'évoque pas la crise d'Octobre, mais sa grille d'analyse se transpose parfaitement à ces événements. Que dit-il au juste? Que le militantisme qui défie le statu quo et s'attaque en profondeur aux problèmes sociaux, ne se fait pas d'un clic de souris exécuté devant son ordinateur dans le confort de son foyer. Selon Gladwell, le militantisme et l'engagement politique commandent de la discipline, un sens du risque et de danger, un authentique engagement et de l'organisation. Or qui dit organisation, dit hiérarchie, concept qui n'existe pas sur les réseaux sociaux qui sont par définition ouverts, fluides, égalitaires, sans règlements et sans autorité centrale structurante.

«Les réseaux sociaux sont extraordinairement efficaces à augmenter la participation, écrit-il, mais ils y parviennent précisément en diminuant le niveau de motivation que la participation requiert.»

En d'autres mots, rien de plus facile que de voter sur le web, que d'y donner son opinion ou son appui, que de relayer des informations mais concrètement, politiquement, socialement et littéralement, ça ne change pas le monde. Ce qui n'enlève rien à l'utilité et à l'efficacité des réseaux sociaux quand il s'agit de se retrouver à 2000 dans la rue pour protester ou pour dîner en blanc. Mais de là à croire que les réseaux sociaux vont déclencher une réelle révolution politique, que ce sont eux qui ont fait élire Obama ou qu'un jour ces mêmes réseaux vont faire triompher la démocratie en Iran, il y a un pas que Gladwell refuse à raison de franchir. Pourquoi? Parce que les réseaux sociaux ne sont qu'un outil. Et que ça prend plus qu'un outil pour enrayer le racisme, la ségrégation ou le déficit démocratique.

Dans sa démonstration, Gladwell évoque les terroristes allemands des années 70. Selon lui, les terroristes de gauche étaient les plus efficaces parce qu'ils étaient organisés hiérarchiquement et centralisés géographiquement dans des universités où ils pouvaient de vive voix et en personne, tisser des liens de confiance et de solidarité. Les terroristes de droite, eux, opéraient à travers des réseaux décentralisés, désorganisés, sujets à l'infiltration et à la délation. Face à ce dernier exemple, difficile de ne pas faire un parallèle avec le FLQ. Avec ses cellules autonomes allergiques à toute hiérarchie, qui opéraient impulsivement, chacune de son côté, sans réelle concertation, le FLQ a été à sa manière un authentique réseau social. Ce qui nous ramène à la case départ. Si la crise d'Octobre avait lieu aujourd'hui, le FLQ aurait sans aucun doute recours à Facebook et à Twitter. Avec un peu de chance, Pierre Laporte aurait la vie sauve. Sinon, ça serait la même plate et tragique histoire qui se répéterait.

Photo: Radio-Canada

Le FLQ n'aurait plus besion de Gaétan Montreuil pour lire son manifeste à la télé.