J'attendais des pleurs et des protestations d'Yvon Deschamps, de Daniel Lemire, de Jean-Guy Moreau et des autres humoristes qui, en 1995, ont formé une coalition pour sauver le musée Juste pour rire. En vain.

Le silence de ces derniers et l'absence générale de réaction de la population à l'annonce de la fermeture définitive du musée Juste pour rire sont éloquents. Ils nous disent que même si ce musée existe depuis 17 ans, il n'a pratiquement eu aucun impact sur la scène culturelle montréalaise, n'a pas marqué favorablement ou défavorablement qui que ce soit, et ne laisse rien en héritage, sinon une immense indifférence.

Bref, pour une institution muséale qui, à sa naissance, a englouti 13 millions en fonds publics et 8 millions de la part du groupe Juste pour Rire, le bilan est peu reluisant. Mais il y a une erreur dans ma dernière phrase. Le musée Juste pour rire n'a jamais été une institution muséale à proprement parler. Un petit frère du Musée de cire peut-être, mais certainement pas du Musée des beaux-arts de Montréal, du Musée d'art contemporain, du Musée de la civilisation ou de celui de Pointe-à-Callière.

En même temps, ce musée aurait pu devenir un vrai petit musée performant, populaire et captivant. Le miracle ne s'est jamais produit. Neuf mois après sa naissance, il menaçait de faire faillite et de fermer ses portes. Six ans plus tard, 15 % de son espace muséal était transformé en bar et en discothèque, histoire de payer les factures.

En 2004, on annonçait que le musée allait changer de vocation pour devenir un musée de l'enfant qui n'a finalement jamais vu le jour. Et au printemps dernier, il était cette fois question que le musée devienne un centre de création et de recherche, projet qui lui aussi est mort au feuilleton.

Que le musée ait été maintenu artificiellement en vie pendant toutes ces années où il ne faisait pas ses frais relève de l'acharnement thérapeutique.

Non seulement ce musée aurait dû mourir il y a longtemps, mais il n'aurait peut-être jamais dû voir le jour. C'est ce que j'avais écrit à l'époque de sa gestation turbulente et controversée sous le gouvernement Bourassa. Et si j'ai changé d'idée l'année d'après, c'est sans doute à cause de la formidable force de persuasion de Gilbert Rozon qui avait réussi à tous nous convaincre que ce musée-là allait faire une différence et devenir un incontournable au plan culturel et touristique.

À l'époque, Rozon affirmait que si les gouvernements acceptaient de doter le musée d'un budget de fonctionnement récurrent comme c'est le cas pour les autres musées, le tour serait joué. Mais c'était un faux problème. Le vrai problème de ce musée c'était l'édifice ingrat dans lequel il était logé: l'ancienne brasserie Ekers, rénovée à grands frais, mais totalement inadéquate au plan muséologique.

Non seulement le lieu sombre, sans fenêtre et aussi accueillant qu'un abri pour pigeons ou qu'un entrepôt nucléaire, n'était pas convivial, il était dépourvu d'une réelle structure de conservation et de mise en valeur. Pas surprenant que des expositions comme celles de Tintin, de Snoopy ou d'Astérix, qui auraient dû normalement aboutir au MJR ont pris le chemin du Musée des beaux-arts de Montréal. Ce dernier offre des conditions de conservation avec lesquelles le MJR ne pouvait tout simplement pas rivaliser.

Qu'à cela ne tienne. Pour justifier sa configuration calamiteuse, on disait que le musée se réclamait de l'école du «black cube» en opposition à l'école du «white cube» à laquelle appartiennent la plupart des musées. Le principe du «black cube» est basé sur la mise en scène et sur la théâtralité. Et les premières expositions comme Extravaganza ou Dialogue dans le noir allaient dans ce sens. Mais très vite, faute de personnel muséal compétent et expérimenté et faute de revenus, le musée s'est mis à errer, à se chercher une identité sans jamais vraiment la trouver.

Au cours de sa courte existence, le Musée Juste pour rire n'aura finalement pas accompli grand-chose sinon gaspiller les énergies de trop de gens et engloutir des fonds privés et publics en pure perte. Que son échec nous serve de leçon pour l'avenir et nous aide à faire la différence entre un projet qui ne tient pas debout et une bonne idée comme celle que vient de lancer la Ligue nationale d'improvisation.

La LNI, qui existe depuis 33 ans et qui n'a jamais eu de maison permanente, vient en effet de proposer à la ministre de la Culture d'installer ses bureaux et sa salle de spectacles dans les locaux du Musée. Sa proposition n'a rien de fou et de flyé. Au contraire. C'est une proposition réaliste, pleine de bon sens, qui comporte un projet d'école d'impro, ainsi que la présentation de matchs pendant la saison touristique avec des équipes internationales, ce que la ligue n'a pu faire par le passé, faute de salles.

La ministre St-Pierre serait vraiment mal venue de refuser ce projet. D'autant plus que la LNI jouit d'une belle réputation internationale et chez nous d'un public jeune et fidèle pour qui l'emplacement du musée, en plein coeur du Quartier des spectacles, est idéal.

Je le répète, l'existence du musée Juste pour rire n'a pas été d'une grande utilité sociale ou artistique. Au moins que sa mort serve à quelque chose.