En exigeant que son nom soit retiré de la liste des finalistes des Grands Prix littéraires Archambault, Gil Courtemanche croyait peut-être que ses camarades écrivains s'empresseraient d'imiter son geste de solidarité à l'égard des journalistes en lock-out du Journal de Montréal. Il n'en fut rien. Depuis le retrait de Courtemanche, ils ne sont plus 19, mais 18 finalistes (en incluant les auteurs en lice pour le Prix de la relève) au nombre desquels figurent Dany Laferrière et Biz. Or les 18 ont tous sans exception accepté de jouer le jeu d'Archambault et ultimement de Quebecor, même si plusieurs brillaient par leur absence au cocktail célébrant leurs mises en nomination.

Quant aux écrivains qui se sont risqués à ce fameux cocktail mercredi, la plupart étaient contre le geste de Gil Courtemanche, qu'ils jugeaient moralisateur. Certains lui reprochaient de refuser aux finalistes la liberté de choix dont il s'est lui-même prévalu. Pour les autres, la solidarité de Courtemanche est un beau prétexte pour se faire du capital politique et pour passer pour un héros. Les temps sont durs, les idées aussi...

Pourtant cette histoire soulève un beau problème: celui de la responsabilité de l'écrivain dans sa société. Comme l'écrit Courtemanche dans son communiqué aux médias: écrire est essentiellement un geste de liberté.

Cela peut paraître comme une évidence et pourtant, j'ai l'impression que beaucoup d'écrivains d'ici ont oublié cette évidence ou, pire encore, n'en ont jamais eu conscience.

Je fais partie des personnes qui trouvent que le geste de Courtemanche est courageux. Je m'en fous s'il le fait par égoïsme, par opportunisme politique, par pureté morale, par récupération ou par narcissisme, l'important c'est qu'il l'a fait, qu'il a tiré un trait, qu'il a dit non, ça suffit, je ne joue plus. L'important, c'est qu'il a eu le courage de ses convictions, le courage d'être conséquent avec le discours critique qu'il tient dans ses chroniques au Devoir au sujet de Quebecor et de son pdg, conséquent aussi avec les idées qu'il défend dans ses romans.

On ne pourra jamais reprocher à Courtemanche de dire ou d'écrire une chose et de faire son contraire. Et surtout, on ne pourra jamais lui reprocher de jouer à la victime. À Don Quichotte peut-être, mais certainement pas à la victime, ça non.

Même s'il n'avait pas nécessairement les moyens de se passer d'un chèque de 10 000$, la somme remise au gagnant, Courtemanche a décidé de livrer son combat malgré tout. Comme il l'a si bien dit à ma collègue Chantal Guy: «Si ce n'est pas le combat des écrivains d'appuyer 250 personnes en lock-out, alors il n'y a pas de combat pour les écrivains.»

Or, dans la bouche de tous les finalistes à qui j'ai parlé, le combat est ailleurs. Dans la survie quotidienne et la précarité de l'écrivain, privé de salaire, de syndicat, d'avantages sociaux et de pensions à vie.

Les écrivains à qui j'ai parlé mercredi, pensent que le peu de place accordé à la littérature dans la société québécoise est le seul vrai combat à mener et cela, à n'importe quel prix. Ils se voient pour la plupart comme des pauvres, sans défense, sans pouvoir, à la merci du roi qui veut bien les gratifier d'un sourire, d'une tape dans le dos ou d'un chèque. Ils ne parlent jamais des avantages d'être un écrivain ni de l'extraordinaire liberté qui en découle. Ils n'évoquent que leur impuissance et la précarité de leurs conditions matérielles.

Il y a quelque chose de désolant dans ce regard misérable au pragmatisme tout puissant et dénué de tout idéalisme que les écrivains posent sur eux-mêmes. À cet égard, j'avoue que je préfère cent fois un Don Quichotte à la Courtemanche, même un Don Quichotte en déroute qui se bat contre de gros moulins qui risquent de le broyer. Je n'en demande pas tant aux finalistes des Grands Prix littéraires Archambault. De toute façon, ce n'est pas de mes affaires. C'est leur choix. Leur décision. Je voudrais juste leur rappeler qu'ils ont choisi d'écrire et d'être écrivains et que la liberté d'un écrivain est précieuse et qu'elle n'a pas de prix...

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca