Il y a quatre ans, la pétillante comédienne Jessica Barker a eu une sacrée bonne idée. D'abord, elle a refusé de s'inscrire sur Facebook comme les trois quarts de l'humanité. Puis, elle a fait imprimer le t-shirt pour le prouver. Son t-shirt «Fuck Facebook» a eu tellement de succès qu'elle s'est ouvert un site et une shop virtuelle de production de t-shirts.

Les premiers mois, ses t-shirts se vendaient comme des petits pains chauds ou, comme disait l'autre, aussi vite que des galettes au crystal meth et des tartelettes à l'ecstasy. En septembre 2008 est arrivée la consécration suprême avec une mention dans le blogue de Michael Musto, le chroniqueur mondain du Village Voice, le tout accompagné d'une photo montrant Jessica et ses amis Rafaële Germain, Guillaume Lemay-Thivierge, Vincent Bolduc et Patricia Paquin arborant fièrement leurs t-shirts «Fuck Facebook».

Quatre ans plus tard, la trépidante Jessica continue de vendre ses t-shirts sur le web, mais à la cadence plus modeste de trois ou quatre par semaine. Elle n'a toujours pas grossi les rangs de 500 millions d'abonnés de Facebook et demeure convaincue que d'ici quelques années, ce gigantesque réseau social aura disparu de la face de la Terre. Elle me l'a répété cette semaine.

De toute évidence, la blonde enfant n'a pas lu les journaux qui célèbrent depuis quelques jours la nouvelle amitié entre Facebook et Goldman Sachs. Ce géant de l'investissement, décrit par certains comme une pieuvre vampirique suceuse d'argent, vient en effet de lever 450 millions au nom de Facebook en affirmant que l'entreprise crée par Mark Zuckerberg en 2004, a aujourd'hui une valeur de 50 milliards.

Entre vous et moi, le montant de 50 milliards me semble un brin exagéré, mais qu'est-ce que j'en sais? Absolument rien, comme la vaste majorité des abonnés de Facebook dont je ne fais toujours pas partie (même si un évangéliste m'a ouvert une page). En revanche, ce que je sais, c'est que depuis le sympathique mouvement de dissidence citoyenne incarné par les t-shirts de Jessica, les choses ont bien changé.

En 2007, Facebook n'était pas une religion et encore moins un incontournable outil de marketing et de promotion. On pouvait encore envisager Facebook avec un esprit critique, choisir de ne pas y adhérer sans rien manquer, et surtout entretenir l'idée de sa relative indépendance par rapport à sa tendance de plus en plus lourde et envahissante.

Quatre ans plus tard, cette indépendance d'esprit est malheureusement très difficile à maintenir. Aujourd'hui, il n'y a pas un film, pas un CD, pas un nouveau projet de condo ou une nouvelle marque de bagnole ou de bigoudis qui est lancé sans avoir sa page Facebook. Souvent, d'ailleurs, c'est sur Facebook, et non sur le site officiel du produit ou de l'artiste, que l'on retrouve la primeur d'une image, d'un slogan ou d'un extrait vidéo.

Au plan culturel, Facebook a opéré un incroyable nivellement, faisant fondre les frontières entre la culture populaire et la culture élitiste, entre le commerce et l'art. Rihanna et Lady Gaga sont sur Facebook, cela va de soi, mais Arcade Fire, Camille et CocoRosie, des artistes plus marginaux s'affichant comme des indépendants, le sont également.

L'OSM est sur Facebook, au même titre que Ozzy Osbourne et Metallica. Idem pour Michel Houellebecq, Yann Martel et pour V.S. Naipaul, écrivain de près de 80 ans, docteur honoris causa de plusieurs universités, anobli par la reine, et Prix Nobel de littérature, bref un homme qui n'a aucune raison d'être sur Facebook et qui pourtant s'y retrouve comme des millions d'autres.

Pas étonnant que Goldman Sachs vienne de plonger dans la mêlée et d'investir autant de fric dans Facebook. L'arrivée de ce géant financier, qui espère tripler sa mise, sans doute en vendant les données personnelles des millions d'abonnés, est le signe définitif que le profit a gagné sur l'amitié. Si j'étais Jessica Barker, je commencerais tout de suite à produire une nouvelle série de t-shirts. J'opterais pour Facebook nous a eus et sa version anglaise: «Fucked by Facebook».

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca