Avant le 3 avril dernier, j'avoue que je ne connaissais pas l'artiste chinois Ai Weiwei. Jamais entendu parler de lui. Jamais vu une de ses oeuvres iconoclastes et provocantes. Jamais su qu'il était un des plus féroces militants des droits de l'homme en Chine. J'avais même oublié qu'il était un des architectes du rutilant stade en forme de nid d'oiseau érigé pour les Jeux olympiques de Pékin en 2008.

Et puis, subitement, tout m'est revenu, le 3 avril, quand j'ai entendu à la radio qu'il avait été arrêté à l'aéroport de Pékin et accusé de fraude et d'évasion fiscale. Comme le lecteur de nouvelles n'avait retenu que le stade comme fait d'armes, j'en ai conclu qu'il était possible que l'architecte soit parti avec l'argent de la caisse. Après tout, ça ne serait pas la première fois que l'architecte d'un stade se retrouve au banc des accusés pour corruption.

Aujourd'hui, je frémis à la pensée que des centaines d'auditeurs ayant entendu le même bulletin d'information en sont venus comme moi à la même conclusion, forts de l'idée qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Comment les blâmer? On leur balance des nouvelles brutes de 30 secondes sans mise en contexte et sans explications avant de passer à la nouvelle suivante. Ça rentre dans une oreille, ça sort de l'autre. Allez hop, cascade!

Heureusement qu'il y a une communauté artistique aux quatre coins du monde qui fait monter la pression quand un des leurs a été injustement jeté en prison. Devant une arrestation qui s'est vite muée en disparition puisque personne ne sait où est Ai Weiwei ni même s'il est encore vivant, cette communauté a eu la bonne idée de lancer une pétition sur le web. La pétition, ouverte à tout le monde sur le site Change.org, est appuyée par plusieurs directeurs de grands musées, dont Nathalie Bondil du Musée des beaux-arts de Montréal, malgré la très délicate position dans laquelle elle se trouve. Les précieux objets de l'expo L'empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite lui ont en effet été gracieusement prêtés par les mêmes autorités chinoises qui ont arrêté Ai Weiwei. Difficile de croire que ces autorités sont ravies de voir la signature de madame Bondil sur la pétition.

Heureusement qu'il y a des gens comme Bondil et comme le directeur du Tate de Londres qui a tendu une immense bannière sur le toit du musée réclamant la libération d'Ai Weiwei.

Heureusement qu'il y a le web, banque mondiale d'informations et d'images, qui permet en un clic de comprendre qu'Ai Weiwei n'est pas qu'un architecte chinois parmi tant d'autres. Et surtout qu'il est beaucoup plus que le Andy Warhol de Pékin. Andy Warhol n'a jamais créé au péril de sa vie et n'a jamais vraiment pris la parole, sauf pour dire qu'un jour tout le monde connaîtrait ses 15 minutes de gloire. Ai Weiwei, lui, n'a cessé de prendre des risques immenses en confrontant directement et à répétition les autorités chinoises. Il l'a parfois fait à la manière Warhol en reproduisant le logo de Coca-Cola sur un vase millénaire ou en laissant un vase de la dynastie Han se fracasser par terre et éclater en mille morceaux. Mais cette comparaison avec Warhol ne tient plus devant la magnifique murale érigée à Munich et faite de centaines de sacs d'écolier, rappel douloureux des écoles mal foutues qui se sont effondrées pendant le séisme du Sichuan, engloutissant des milliers d'écoliers que les autorités n'ont même pas cherché à identifier.

Aucun doute: Ai Weiwei est un artiste téméraire et courageux qui risque aujourd'hui de périr, broyé par le rouleau compresseur de l'empereur guerrier. Il a besoin de notre appui. Pas seulement en signant une pétition. En faisant pression sur la classe politique et celle des affaires pour qu'elles rappellent à l'ordre le pouvoir chinois. Car trois ans après les olympiques qui devaient ouvrir la voie au respect des droits en Chine, rien n'a changé. Ou plutôt si: c'est encore pire qu'avant. L'arrestation d'Ai WeiWei aura au moins servi à cette prise de conscience.

Photo: archives AFP

Ai Weiwei.