Ils viennent d'annoncer à la télé que quelque 600 000 touristes sont attendus à Londres d'ici vendredi. Ma main au feu qu'au moins 599 000 de ces touristes sont des journalistes qui ont tous vendu leur mère pour aller aux noces de Kate et William.

J'avoue que l'enthousiasme délirant pour le mariage royal de la plupart de mes camarades journalistes me dépasse. Et je ne parle pas de Ben Mulroney, l'animateur jovialiste d'eTalk Canada qui, tous les jours depuis plus d'une semaine, nous envoie des topos fascinants sur la couleur de beurre ou le design de la salière qui trôneront au centre de la table d'honneur des nouveaux mariés. Je parle de journalistes sérieux comme le vénérable Peter Mansbridge de CBC qui, tout guilleret, a annoncé qu'il serait en direct du mariage royal vendredi avant de sauter dans un avion pour revenir à temps pour les élections, lundi. Je l'ai même entendu dire le plus sérieusement du monde que c'est le mariage de William et de Kate qui avait dicté à Stephen Harper la date des élections canadiennes. «Parce qu'un mariage, ça rend tout le monde de bonne humeur», a-t-il gloussé sans vraiment expliquer en quoi le fait de regarder Kate et Will dire «oui je le veux» à la télé va pousser les Canadiens à voter dans l'isoloir, lundi.

Je ne sais pas combien d'assistants et de journalistes accompagneront Peter Mansbridge à Londres. J'espère qu'ils ne seront pas 250 comme ceux envoyés par le réseau NBC. 250!!!! Pour faire quoi? Interviewer les chaînes de trottoir? Parler aux assiettes et sous-plats à l'effigie du couple royal?

Pour le réseau CBS, c'est la reine des nouvelles, Katie Couric, qui couvrira le safari nuptial avant de reprendre le premier avion pour New York et de revenir juste à temps pour annoncer... son départ de CBS, lundi. Eh oui, après seulement cinq ans de services au royaume de l'info, Katie abandonne son rêve de devenir une Walter Kronkite en jupon. Elle aussi, semble-t-il, a laissé le mariage royal dicter le moment de son... divorce. Et que dire d'Anderson Cooper de CNN, celui qui a bravé tempêtes, guerres, tremblements, tsunamis, celui que l'on a vu sur tous les fronts, depuis l'Irak jusqu'à la Libye en passant par l'Égypte et l'Afghanistan? J'ai de la difficulté à croire que mon héros fera la potiche devant l'abbaye de Westminster vendredi. De ce que j'en comprends, lui aussi. Il a d'ailleurs annoncé qu'il était hors de question qu'il se déguise en pingouin royal en arborant une redingote et une lavallière comme le veut la coutume. «Toute ma vie, j'ai fui les lavallières, c'est pas maintenant que je vais commencer à en porter», a-t-il soupiré.

Cette dernière remarque, livrée par un héritier des Vanderbilt, est tout à l'honneur dudit héritier qui a choisi de devenir correspondant de guerre plutôt que joueur de cricket. Cela dit, lavallière ou non, Anderson Cooper sera au mariage du siècle lui aussi. Ce qui m'amène à la question à 32 millions. Pourquoi lui? Pourquoi les autres? Pourquoi cet intérêt furieux et généralisé pour un événement mondain auquel trop de dictateurs ont été invités et qui ne changera pas la face du monde, ni celle de la monarchie britannique puisque William n'est pas l'héritier du trône, événement dont les deux principaux protagonistes ont l'air de Ken et Barbie, sinon de deux animateurs d'eTalk?

Pour les Britanniques, la question ne se pose pas. La monarchie, ses déboires et ses romans savon font partie de leur culture, de leur ADN et de l'air qu'ils respirent. Il est normal que les Britanniques se passionnent pour le mariage royal même si, pour l'instant, leur passion est assez tiède, merci. Normal aussi que certains républicains célèbres comme Colin Firth et les cinéastes Ken Loach et Mike Leigh s'opposent publiquement, ce qui est une forme d'intérêt détourné.

Mais expliquez-moi l'excitation, la trépidation, la frénésie des Français, des Américains, des Japonais et même des Canadiens? Hormis le visage de la reine sur nos pièces de monnaie et notre molle allégeance à la monarchie, en quoi ce mariage nous concerne-t-il?

Certains répondront que c'est le conte de fées qui nous attire et nous enchante. Et d'autant plus que ce conte de fées vient avec la certitude que, ce coup-ci, le prince et la princesse s'aiment d'amour et ne risquent donc pas de divorcer dans six mois ou dix ans. Un mariage comme réparation de l'Histoire? Peut-être. Reste qu'à mon avis, si ce mariage nous captive tant, c'est que, malgré la différence de nos cultures et de nos fuseaux horaires, il nous offre la possibilité de communier ensemble et d'avoir, pendant quelques heures, le sentiment de tous appartenir au même cirque universel, au même gros Cirque du Soleil. Et ça, comme le dit la pub, ça n'a pas de prix.