À l'annonce de sa mort, le silence stupéfait des ondes a aussitôt ouvert la voie à un déluge d'amour, de larmes et d'émotion. Aimé de son vivant, Jack Layton l'a été doublement, le jour de sa mort. À la radio, à la télé et sur le web, chacun y est allé de son hommage ému au bon Jack, politicien pas comme les autres, monument d'authenticité, d'espoir et d'optimisme, foudroyé en plein combat contre le cancer et devenu, malgré lui, un héros tragique.

La rapidité dévastatrice de sa maladie, la soudaineté de sa mort et la cruauté du destin qui lui a volé les fruits mêmes de sa trop récente victoire, tout cela n'a fait qu'augmenter la déferlante d'amour et de sympathie à son égard. Pourtant, celui qu'on pleure aujourd'hui n'a pas toujours été adulé. Je me souviens encore d'une balade hostile dans son comté de Danforth en 2004. Ce jour-là, j'avais failli finir en brochette pour avoir demandé à un restaurateur grec pourquoi il affichait la pancarte rouge du libéral et non celle de Jack Layton. M'indiquant une salle à manger déserte, le restaurateur avait lancé méchamment: «C'est ça le NPD. Du vide et du vent! Ils n'ont jamais levé le petit doigt pour nous!»

Plus loin sur la terrasse d'un café où j'avais joué aux sondeurs auprès d'un nain, d'une jeune lesbienne, d'une infirmière mère de trois enfants, d'un retraité de 76 ans, d'un vétéran de la guerre et de deux Italiens de la deuxième génération, je n'avais eu guère plus de succès. Seul le retraité de 76 ans accordait son appui et son vote à Layton. Pour les autres, Layton n'avait aucune crédibilité et ne faisait pas le poids par rapport à Dennis Miller, son rival libéral, un fervent catholique qui avait eu la bonne idée, au lendemain de la crise du SRAS à Toronto, d'organiser un grand concert rock et de convaincre les Rolling Stones d'y participer.

Même s'il n'était pas encore le bon Jack ni le candidat le plus cool de Danforth cette année-là, Layton avait finalement remporté l'élection, mais de justesse. C'était en 2004, il y a exactement sept ans. En soi, cela donne la mesure de l'immense et prodigieux chemin qu'il a parcouru en si peu de temps.

Lundi, parmi les centaines de commentaires qui ont saturé l'espace médiatique, celui d'Anne Lagacé Dawson, a résonné plus fort que les autres. Je ne sais pas si la commentatrice politique et ex-candidate du NPD a été la première à le dire. Tout ce que je sais, c'est que, face à un chagrin collectif rarement exprimé avec autant de ferveur à l'égard d'un homme politique, mais aussi rarement partagé autant par le Québec que le reste du Canada, Anne a évoqué le nom de John Lennon. L'image était d'une grande justesse. Jack Layton était effectivement un peu le John Lennon canadien. Pas artistiquement évidemment, même si Layton semblait autant épris de sa guitare que de justice sociale et aussi amoureux d'Olivia Chow que John Lennon l'était de Yoko Ono. Mais c'est ailleurs que Jack et John se rejoignaient vraiment; dans cette vision d'un monde meilleur et utopique où les gens feraient l'amour et non la guerre, où la haine et les jeux de pouvoir n'auraient plus de place au sein d'une cité égalitaire et démocratique dont les citoyens seraient des rêveurs éveillés, socialement responsables et adeptes de recyclage, de covoiturage et d'énergie solaire.

Jack n'avait pas que le côté «Peace and Love» de Lennon. Comme Lennon, c'était un rebelle en rupture de banc avec l'ordre établi et déterminé à faire de la politique autrement et, si possible, selon un concept totalement étranger à Stephen Harper, en ayant du fun. Je me souviens encore du commentaire d'Olivia Chow qui, au milieu du bordel de son bureau de comté, m'avait lancé: «Comptez sur Jack et sur moi pour mettre de l'ambiance au parlement et pour faire de notre bureau un centre communautaire muni d'un bon frigo de bière.»

Né en 1950, 10 ans après Lennon, Layton était un pur boomer, porté par la musique, les idées et les valeurs de sa génération. Que ses funérailles d'État aient lieu au Roy Thomson Hall de Toronto, une salle de concert plutôt qu'un lieu de pouvoir ou de culte, est tout à fait dans l'ordre des choses pour ce politicien pas comme les autres.

Comme John Lennon, Jack Layton a non seulement réussi à rallier de nombreux fidèles à sa cause, il a réussi à toucher le coeur des gens. Comme John Lennon, il est mort beaucoup trop tôt, en laissant un grand vide et un mythe qui ne fait que commencer à fleurir.