L'adolescence n'est jamais un passage facile. Mais quand à la crise d'adolescence s'ajoute la crise d'identité parce qu'on est née dans un orphelinat en Chine, qu'on a été parachutée dans l'hiver de force québécois et qu'on a grandi parmi des Blancs au gros nez et aux yeux pas bridés, l'adolescence peut être assez rock'n'roll, merci.

C'est le sujet d'On me prend pour une Chinoise, un documentaire poignant de l'ONF que tous les parents qui ont adopté ou qui sont en instance d'adoption devraient voir à tout prix.

Ils y feront la rencontre d'Alice, Léa, Julia, Anne et Flavie, cinq jeunes Chinoises issues de la première vague d'adoption du début des années 90. La cinéaste Nicole Giguère qui avait déjà réalisé Alice au pays des gros nez portant sur l'adoption de sa fille Alice, a suivi pendant trois ans entre 2007 et 2010, sa fille et ses amies, mais cette fois dans ce passage périlleux entre l'adolescence et l'âge adulte. Et ce qu'elle nous montre, ce sont cinq jeunes filles fraîches et charmantes, mais aux prises avec des problèmes d'identité, d'estime de soi, de drogue, d'anorexie, de dépendance affective, de déficit d'attention et tutti quanti. De mémoire, c'est la première fois qu'un documentaire québécois ose aborder la face cachée de l'adoption aussi franchement. Habituellement dans les médias, l'adoption est présentée comme un parcours à obstacles long et pénible, mais qui se termine immanquablement comme un conte de fées avec la maman, le papa et leur bébé adopté qui disparaissent dans le soleil couchant, heureux et unis pour la vie. La plupart du temps aussi, c'est l'histoire des parents qui adoptent qu'on raconte: leurs espoirs, leurs misères, leur soulagement quand ils tiennent enfin leur petit trésor dans leurs bras. Mais les adoptés, eux? On leur a rarement donné la parole, ce qui était aussi un peu normal. Il fallait en effet donner le temps au temps de produire sa première cohorte d'adolescents issus de l'adoption internationale. C'est maintenant chose faite et On me prend pour une Chinoise en est à la fois la plus belle preuve et la plus douloureuse aussi.

À l'image de quelques milliers de leurs contemporaines, Alice, Léa, Julia, Anne et Flavie ont 20 ans ou presque. Elles sont bien entendu reconnaissantes aux parents qui les ont arrachées à un orphelinat froid et triste pour leur offrir une vie meilleure. En même temps, elles portent encore les meurtrissures de l'abandon, ne savent pas exactement qui elles sont, sentent qu'elles ne seront jamais tout à fait complètement intégrées à la société et envisagent l'avenir avec une certaine appréhension. Sont-elles représentatives de tous les enfants adoptés en Chine au cours des 20 dernières années? Nicole Giguère prétend que non. Selon elle, si Alice et ses amies sont représentatives de quelque chose, c'est de l'adolescence, plus que de l'adoption. En même temps, impossible de nier l'abandon que ces petites Chinoises ont vécu à la naissance et qui les a marquées à jamais. Impossible aussi de ne pas comprendre à travers leurs témoignages que ce n'est pas parce que l'adoption commence par un miracle (celui d'un enfant sauvé de la mort ou de la misère) que le conte de fées va durer éternellement ni que les enfants miraculés seront à l'abri des âpres réalités de la vie.

On me prend pour une Chinoise se termine malgré tout sur une note d'espoir livrée par la cinéaste qui nous assure que, malgré leurs bleus et leurs blessures, Alice et ses amies vont de l'avant avec leur vie. Elles étaient d'ailleurs toutes à la première du film jeudi au FFM, fières de montrer qu'elles n'étaient déjà plus les mêmes que celles figées par le film. N'empêche. Ce moment de leur vie qu'elles nous offrent est précieux et risque de changer à jamais notre regard sur l'adoption. En soi, c'est un exploit.

On me prend pour une Chinoise est présenté à 12h aujourd'hui au FFM et prendra l'affiche du cinéma ONF le 7 septembre.