Durant les 6000 premières années du monde, l'architecture a été la grande écriture du genre humain, écrivait Victor Hugo. Et Jacques Ferron de lui donner raison, plusieurs décennies plus tard, en écrivant: «C'est l'architecture qui exprime d'abord, la civilisation». Si le docteur Ferron était encore parmi nous, je me demande bien ce qu'il penserait de l'architecture de la nouvelle salle de concert de Montréal qui ouvrira en grande pompe la semaine prochaine.

Trouverait-il comme Lise Bissonnette que l'édifice qui abrite la salle est acceptable, mais sans plus? Que ce bâtiment qu'on attend et qu'on espère depuis plus de 20 ans, est peut-être une grande victoire pour les mélomanes et un chef-d'oeuvre acoustique, mais une occasion ratée pour l'architecture montréalaise, en cela qu'il n'offre pas de l'extérieur, une signature visuelle marquante à une ville qui en a cruellement besoin?

Les réserves de Madame Bissonnette, mais aussi celle du président de l'Ordre des architectes à l'égard de la formule du PPP qui, dans ce cas-ci, aurait interdit toute originalité architecturale, ont fait l'objet de deux reportages de Frank Desoer à la radio de Radio-Canada cette semaine. Dans l'un de ces reportages, l'ex-ministre Monique Jérôme-Forget, sans qui cette salle n'aurait jamais vu le jour, s'interroge sur la pertinence d'une signature architecturale. Avec la candeur brutale qui la caractérise et qui la rend si sympathique, l'ex-ministre lance: «La signature on l'a déjà essayée et ça ne sert à rien cette affaire-là!»

Madame Jérôme-Forget parle bien entendu du Stade olympique dont la signature spectaculaire lui a valu un peu trop de comparaisons aux cuvettes sans pour cela le rendre plus fonctionnel.

Mais peu importe si on trouve le stade beau ou moche, on ne peut nier la force ni l'audace de sa signature, même 35 ans après sa construction. Les Montréalais ont beau avoir été traumatisés par ses coûts exorbitants et par son ingénierie déficiente, ils sont obligés de reconnaître que le stade est à jamais lié à l'identité de leur ville. Pourra-t-on en dire autant de la nouvelle salle de concert demain ou dans 35 ans? J'en doute.

Entendons-nous bien, le bâtiment n'est pas une horreur architecturale. Tant s'en faut. Le consortium réunissant les architectes montréalais d'Aedifica et ceux de Diamond et Schmitt de Toronto, s'est acquitté honnêtement de sa tâche et a rempli avec rigueur la commande du gouvernement. Le bâtiment de béton et de verre que les architectes ont imaginé et qui n'est pas encore terminé ne manque pas d'élégance. Il manque seulement de caractère et de ce surplus d'audace qui en aurait fait un édifice unique et inoubliable, voire le fleuron d'un renouveau architectural montréalais.

En même temps, il suffit de parcourir les communiqués officiels émis depuis le début des travaux pour comprendre que l'architecture a toujours été le cadet des soucis de l'instigateur du projet: à savoir le gouvernement du Québec.

Dès la première pelletée de terre, le premier ministre Charest a rêvé à voix haute d'une salle qui deviendrait une référence dans le monde entier non pas à cause de son architecture, mais grâce à son acoustique. Tout au long de la construction, ses porte-parole n'ont cessé de célébrer l'avènement d'un écrin acoustique doublé d'une merveille technologique qui ravirait les mélomanes et vers lequel convergeraient les plus grands orchestres du monde. L'architecture dans tout cela? Reléguée au dernier plan comme un détail, nécessaire puisqu'il faut bien une enveloppe pour contenir cette superbe technologie et ses magnifiques murs lambrissés de bois, mais un détail essentiellement superflu.

L'important, déclare Monique Jérôme-Forget au micro de Frank Desoer, c'est que l'acoustique soit bonne, la salle conviviale et accessible par métro. L'ex-ministre a entièrement raison, à la nuance qu'une salle de concert peut à la fois être accessible, fonctionnelle, avoir une acoustique extraordinaire ET se distinguer au plan architectural. L'un n'interdit pas l'autre. Sauf dans des sociétés où l'architecture est une laissée-pour-compte qui n'a d'autre fonction que d'être... fonctionnelle. C'est le cas au Québec, où l'utilité et la fonction priment toujours sur la forme et où la sensibilité à l'architecture est rarement valorisée, quand elle n'est pas carrément considérée comme suspecte.

Certains plaideront qu'à l'heure où les urgences débordent, où les ponts s'effritent et où les paralumes nous tombent sur la tête, le Québec n'a pas les moyens de se payer le luxe de l'architecture, surtout pas pour une salle de concert. Dans ce cas-là, il faudra déménager à Reykjavik en Islande, une ville qui a failli fermer pour cause de faillite et qui malgré sa minuscule population de 120 000 habitants vient d'inaugurer une magnifique salle de concert de 150 millions, imaginée par l'artiste Olafur Eliasson et dont la signature est absolument spectaculaire.

Personnellement, je préfère vivre à Montréal qu'à Reykjavik. N'empêche. Ce n'est pas tous les jours qu'une nouvelle salle de concert naît chez nous. Celle-ci a mis plus de 20 ans à devenir une réalité. C'est formidable qu'elle existe enfin. C'est juste dommage que son architecture ne soit pas à la hauteur de son acoustique d'exception.