Les banquiers n'ont pas très bonne presse ces temps-ci au Québec. Ou bien ils ne savent pas parler français et nous imposent sans vergogne leur unilinguisme anglais. Ou bien ils font trop de profits, s'accordent de trop grosses primes et nous écoeurent avec leurs frais de service exorbitants.

À cet égard, Jacques Ménard, président de BMO, Groupe financier, n'est pas tout à fait un banquier comme les autres. Non pas qu'il soit pauvre. Il est plusieurs fois millionnaire, mais ses millions n'ont jamais empêché cet important philanthrope de s'engager socialement et de défendre avec ardeur des causes comme le décrochage. Soucieux d'aider les jeunes et de leur offrir des modèles inspirants, le banquier publie ces jours-ci un livre en forme de guide, Réussir, aller au bout de ses rêves, dont le titre est aussi romantique qu'il est cliché. À travers de courts entretiens avec une vingtaine de personnalités allant de Kent Nagano jusqu'à Ricardo Larrivée en passant par Jean Béliveau, Robert Charlebois, Céline Dion, le docteur Gilles Julien et le cardinal Turcotte dont je me demande ce qu'il vient faire dans le tableau, le banquier cherche à définir avec ses interlocuteurs la notion de réussite et comment on fait pour y parvenir.

Passons sous silence le fait que monsieur Ménard s'inclut dans le lot de ceux qui ont réussi et termine l'exercice par un entretien avec lui-même réalisé avec une certaine complaisance par un adjoint. À ce chapitre, on aurait souhaité une petite gêne de la part du banquier, ou alors plus de candeur sur sa façon de faire son chemin dans le monde brutal de la finance, à travers quels réseaux et avec quels pistons.

Traitez-moi de désabusée, mais j'ai l'intime conviction qu'on ne réussit pas, dans les affaires, les arts ou n'importe quoi, sans des contacts et la force d'un réseau qui se construit parfois dès l'enfance et de préférence dans les milieux privilégiés. Mais cela, Jacques Ménard n'en parle pas beaucoup, tout comme il occulte la part d'ombre de la réussite et le côté obsessif-compulsif, à la limite de l'autisme, de ceux qui réussissent.

Et même si Ménard insiste sur l'importance des autres dans le parcours qui mène à la réussite, il donne peu de détails sur la façon dont ces autres entrent dans notre vie quand on ne vient pas d'un milieu aisé et qu'on n'a pas un père banquier ou un père qui peut nous faire visiter le Ritz sans complexes, comme l'a fait celui de la PDG de Gaz Métro, Sophie Brochu.

Le bouquin de Ménard ne manque pas de mérite pour autant. D'abord, d'entrée de jeu, Ménard établit la nuance entre réussir sa carrière et réussir sa vie, plaidant qu'on peut très bien réussir sa carrière et rater sa vie, ou le contraire. Les notions de travail, d'effort et de discipline occupent une place importante dans son propos, rejoignant en cela la règle des 10 000 heures de Malcolm Gladwell. Selon le sociologue, des Beatles jusqu'à Bill Gates, tous ont consacré au départ 10 000 heures dans leur domaine avant de le maîtriser.

L'échec aussi joue un rôle important dans la réussite. J'aime particulièrement le passage où Monique Leroux, la PDG du Mouvement Desjardins, raconte que ce qui a le plus contribué à sa formation, ce n'est pas la gestion de la réussite, mais la gestion de l'échec.

Céline Dion, quant à elle, a la bonne idée de résister au romantisme dans lequel Ménard veut l'enfermer. À la question «Est-ce que le succès, pour toi, est un rêve devenu réalité?», elle répond: «Franchement, je me demande si j'ai connu ce genre d'évolution», avant d'ajouter qu'elle n'a pas eu le temps de rêver, de penser ou d'espérer. «Ma mère m'a eue, m'a faite, m'a soutenue et ça s'est réalisé.»

J'aime bien la lucidité brutale de Céline. Elle nous change de l'angélisme et du prêchi-prêcha dont le livre est émaillé. Elle nous fait surtout comprendre que la réussite se trouve au bout du tunnel, qui nous plonge longtemps dans la noirceur sans toujours nous en libérer.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca