Il fut un temps où rien ne me faisait plus plaisir que d'entendre un Québécois d'origine vietnamienne, chinoise ou bulgare parler avec un accent québécois gros comme le bras. C'était à mes oreilles le signe sonore d'une victoire, plus vraie que la loi 101, plus profonde qu'une politique d'intégration. C'était le signe que notre identité linguistique avait traversé les frontières et les barrières pour se muer en un territoire phonétique commun dans une culture devenue majoritaire au sein de ses minorités.

Mais ces jours-ci, cet accent québécois gros comme le bras et répandu uniformément dans toutes les couches de la société et dans toutes les communautés ne me fait plus autant plaisir. La plupart du temps, il m'écorche les oreilles. C'est pourquoi ces jours-ci, je me sens un peu comme Monique LaRue, cette écrivaine et essayiste qui vient de publier dans la revue littéraire L'Inconvénient un texte inspirant sur la langue des Français de France qui ont choisi de vivre chez nous: des Français ordinaires qui travaillent dans les banques, à l'épicerie, à la boulangerie du coin ou au vidéoclub du quartier et dont la langue claire et l'accent tranchant résonnent dans la cité.

Partout, écrit Monique LaRue, la voix dynamique, l'accent vigoureux des locuteurs venus de France, leur débit, leur tonus, leur énergie articulatoire, émergeant du murmure urbain en pointes sonores et claires, me procurent un indiscutable et nouveau plaisir.»

C'est en lisant son texte que je me suis rendu compte que moi aussi, j'aimais ça, entendre ce français-là dans les rues de Montréal et qu'au lieu de me pousser à me braquer avec la crispation du colonisé comme autrefois, ce français-là berçait mes oreilles comme un baume bienfaisant. Mais qu'on ne s'y méprenne: ce nouveau plaisir sonore ne tire pas sa source d'un simple accent, mais de la maîtrise, de l'élocution et de l'éloquence émanant des sons produits par nos amis.

Prenez le plus con des Français. Malgré les conneries qu'il pourra débiter, l'expression de sa langue sera impeccable. Prenez maintenant un brillant Québécois, comme celui que j'ai entendu à la radio cette semaine, et écoutez-le répéter trois fois plutôt qu'une «ça l'a», ternissant d'un coup toute sa brillance.

Monique LaRue ne plaide pas pour que les Québécois francophones se mettent à parler pointu avec un accent frança aussi ridicule que faux. Elle plaide pour le respect, l'amour et le soin apporté à la maîtrise de notre langue qui, après toutes ces années, demeure fragile.

Évoquant notre «peur atavique d'être avalés tout rond par l'ogre anglais», LaRue explique que la peur, fort mauvaise conseillère, nous a toujours fait percevoir la menace à notre langue comme venant de l'extérieur, alors que la vraie menace vient de notre propre comportement linguistique, brouillon, cafouilleux, relâché, truffé de structures grammaticales bancales, de fautes de syntaxe, d'erreurs de sens et de calques de l'anglais. «Nous devrions logiquement avoir peur autant de cette menace d'implosion intérieure que de l'anglais», écrit-elle.

Sa thèse rejoint celle du poète Gaston Miron, énoncée il y a plus de 40 ans. Avant même que les Français de France ne se mettent à pimenter leur langue de parking, de shopping et de pressing, Gaston avait signalé le phénomène chez nous. Mais Gaston se fichait éperdument des bumpers, washers et wipers qui se glissaient le plus naturellement du monde dans nos conversations. Ce qui l'inquiétait, c'était les structures de notre langue, parasitées par les calques de l'anglais que nous reproduisions en toute insouciance. Je me souviens qu'il s'en était pris aux panneaux de signalisation sur les ponts et les autoroutes et avait dénoncé avec vigueur leurs traductions littérales de l'anglais. Gaston est mort, mais les panneaux et leurs formules absurdes, eux, sont toujours bien en place.

Dans un des numéros de son spectacle bilingue, Sugar Sammy se moque du combat pour la défense du français et pose cette question au public: à quoi ça sert de vouloir protéger le français au Québec si c'est pour le parler tout croche? Les francophones dans la salle ne manquent jamais d'éclater de rire. Il n'y a pourtant rien de drôle dans cette affirmation brutale, sinon sa vérité.

L'Inconvénient: La France et nous. En librairie ou au www.inconvenient.ca

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca