La BD Tuer Vélasquez est née dans la tête de Philippe Girard un soir d'octobre 2000. Ce soir-là, Girard était à son poste, à la station de Radio-Canada à Québec, où il est infographiste. Demande urgente du pupitre : une carte montrant la ville de Lieurey, en France.

Un prêtre québécois venait d'y être arrêté pour actes de pédophilie.

Son nom : Denis Vadeboncoeur.

Dans la région de Québec, Vadeboncoeur était connu : en 1985, il avait été condamné à 20 mois de prison pour des agressions sur des adolescents.

On apprendra plus tard que ses supérieurs français l'ont laissé en poste, même après avoir appris son passé d'agresseur, à Québec.

Dans les tripes de Philippe Girard, le souvenir de Denis Vadeboncoeur est indélébile : à 13 ans, il a côtoyé le prêtre.

Philippe Girard a mis huit ans à mijoter Tuer Vélasquez. Puis, en 2008, l'inspiration l'a touché de sa grâce. Il a attaqué ce projet de BD qui raconte son face-à-face avec Vadeboncoeur. «J'ai trouvé le ton», dit Girard, auteur de romans jeunesse parallèlement à sa passion de bédéiste.

Dans la BD, on se sent avec Philippe Girard dans ce chalet de Donnacona, près de Québec, en 1983, où Denis Vadeboncoeur («Benoît», dans le récit) a emmené un groupe d'ados pour une retraite d'une fin de semaine. On sent sa terreur quand il découvre que Benoît tripote ses camarades. On espère qu'il échappera au prédateur quand il s'enferme dans sa chambre...

Moment terrible de l'histoire : Benoît donne à ses ouailles une phrase à méditer : «S'il y avait une seule vérité, on ne pourrait pas faire cent toiles sur le même thème.» Puis, le prêtre se tourne vers Philippe : «Je l'ai choisie exprès pour toi, Philippe, parce que tu es un artiste, toi aussi.»

«Tu es un artiste, toi aussi.» Pour un ado : une reconnaissance de sa valeur. Pour le pédo : une maille du filet...

«Si j'avais été joueur de hockey, il m'aurait probablement dit qu'il n'avait jamais vu un si bon joueur», relate Girard en entrevue.

Le Vélasquez du titre de la BD est une référence à Diego Vélasquez, peintre espagnol du XVIIe siècle. Selon «Benoît», il faut choisir : être coincé et plate comme Vélasquez ou bien ouvert et libre comme Picasso. Autre maille du filet...

Le Philippe de la BD, comme le «vrai» Philippe Girard, sort indemne du week-end avec le prêtre prédateur. Dans Tuer Vélasquez, le jeune Philippe se réfugie dans la lecture de livres de Jack Bowmore, un héros sans peur et sans reproche, pour se donner force et courage.

«Les livres m'ont sauvé la vie, relate aujourd'hui Philippe Girard. Pour aller au Petit Séminaire, je faisais une heure et quart de bus, matin et soir. J'en ai lu, des Bob Morane, des Doc Savage, des Agent X22!»

Le récit de Tuer Vélasquez est joliment ponctué de mises en abyme : des scènes des livres de Jack Bowmore qui affronte la vie en la prenant par le collet, usant de force et de ruse pour survivre. «Un héros de papier peut sauver une vie, dit Philippe Girard. Ces héros ont sauvé la mienne. On peut être transporté par une énergie plus grande que soi grâce à ce qu'on a lu dans un livre.» Pour l'auteur, cette énergie explique en partie pourquoi il a échappé à Vadeboncoeur. Et pourquoi, à son retour de Donnacona, il a trouvé la force de confier à sa mère que ce prêtre agressait des jeunes. Confidence qui a mené à une plainte à la police.

Philippe Girard se réjouit de ce que les mentalités aient évolué, que les peines soient plus lourdes pour les pédophiles. Mais il croit qu'on oublie un enjeu : «Je pense surtout à ce qu'on fait pour les victimes. Un pédophile est arrêté, il est mis en prison. Les peines sont plus lourdes : c'est très bien. Tout le monde est soulagé. Mais comment aide-t-on les victimes? Leurs familles?»

«Je n'ai pas fait ce livre pour me guérir, dit-il, mais pour faire la paix. Je me suis longtemps demandé pourquoi je n'avais pas été agressé par Vadeboncoeur. Ça m'a hanté très longtemps.

- T'as trouvé la réponse?

- Non. Mais ce n'est pas grave. J'ai essayé de faire oeuvre utile avec la BD...»

Très juste : Tuer Vélasquez est un livre instructif, original et courageux, en ces sales temps où les prêtres prédateurs font un retour dans les manchettes.

EN SAVOIR PLUS

> Le blogue de P. Girard