Peut-être qu'au fond, j'ai l'esprit fermé. Peut-être qu'au fond, les astrologues, les liseurs de bonne aventure, les devins qui voient l'avenir dans les entrailles des poulets et autres pushers de singeries paranormales, c'est ben correct.

Peut-être que je m'insurge pour rien, quand je vois TVA, plus grand télédiffuseur au Québec, annoncer la diffusion, l'automne prochain, d'une émission produite par Chantal Lacroix, Rencontres paranormales.

 

Chantal Lacroix était elle-même très sceptique avant de rencontrer le médium qu'on verra dans Rencontres paranormales. Mais sa rencontre avec le médium, dont l'identité est tenue secrète, l'a tellement convaincue qu'elle s'est dit que cette personne devait faire l'objet d'une série télévisée.

Je ne veux pas faire tourner Chantal Lacroix en bourrique. Je sais que c'est une bonne personne, une bonne animatrice qui a le coeur à la bonne place. Je sais tout ça. Mais je relis certaines de tes déclarations, Chantal, dans mon calepin de notes, et je capote, un tout petit peu...

En voici quelques-unes:

«La table du médium est l'instrument le plus visible. Elle répond OUI ou NON par le nombre de coups qu'elle frappe. Tu poses des questions aux entités et c'est par la table que t'as la réponse.»

«Je demande aux gens d'avoir une ouverture d'esprit. Moi, j'y suis allée avec ouverture d'esprit.»

«Cette personne a un don qui se transfère de génération en génération. Elle dit être née avec.»

Et quand je t'ai demandé si ce ne serait pas une bonne idée que le médium soit encadré et surveillé par une équipe de scientifiques, sur le plateau, des gens qui chercheraient le truc (il y a toujours un truc), tu m'as répondu ceci:

«C'est plate à dire, mais il y a des gens qui sont fermés. Et ça devient plus difficile de communiquer avec les entités. J'ai fait une séance où il y avait beaucoup de sceptiques. C'était plus difficile qu'il se passe quelque chose.»

Je t'ai parlé, Chantal, des Sceptiques du Québec. Depuis des années, les Sceptiques font la promotion de la pensée rationnelle et scientifique. Ils ont même lancé un défi aux Québécois convaincus de posséder un don: la chance de gagner un million de dollars, en se pliant au Défi sceptique.

L'idée du Défi sceptique, c'est que le «don» du médium ou du télépathe ou du devin est testé dans un environnement contrôlé, devant témoins.

Si le «don» se matérialise, si vous pouvez lire dans les pensées de quelqu'un choisi par un groupe indépendant, par exemple, c'est simple: les Sceptiques du Québec vous font un chèque de 10 000$.

Et on vous dirige vers la fondation de James Randi, l'Américain qui promet 1 million à toute personne pouvant prouver, à sa satisfaction, qu'elle possède un «don» paranormal inexplicable par la science moderne.

Serge Larivée est professeur à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal. Son champ d'expertise est l'intelligence humaine. Il oeuvre aussi chez les Sceptiques du Québec.

Et le principe de l'émission Rencontres paranormales lui donne des boutons:

- C'est du nivellement par le bas, une insulte à l'intelligence et j'espère qu'ils auront le courage de relever le défi du million de dollars de James Randi...

- Avez-vous l'esprit fermé, professeur?

- Quand on met ces «dons» en doute, on se fait toujours dire qu'on a l'esprit fermé. Mais il y a une nuance entre esprit ouvert et esprit troué. Avoir l'esprit ouvert, c'est ne pas accepter n'importe quoi...

Pour Serge Larivée, qui rappelle que la science n'a jamais pu reproduire les «exploits» de numérologues, devins ou autres télépathes dans un environnement contrôlé, la diffusion d'une émission centrée sur les aventures d'un médium est répréhensible. «Ça alimente un phénomène qui n'existe pas.»

On dira que ça ne porte pas à conséquence. Peut-être. Mais combien d'esprits troués sont floués par des médiums, qui leur pompent des milliers de dollars?

Tapez TVA et médium dans Google et la première page recensée fait état de médiums fraudeurs débusqués par J.E., à... TVA.

Sans parler de l'argent public. Rencontres paranormales sera admissible au crédit d'impôt fédéral de production télévisuelle. L'an dernier, la maison Pixcom a bénéficié de 240 000$ en crédits d'impôt d'Ottawa et de Québec pour sa série Et si c'était vrai?, explorant le monde des médiums à Canal Vie.

On dira que le divertissement, c'est juste ça: du divertissement. C'est ce que Nicole Tardif, la porte-parole de TVA, m'a dit, au fond: «On peut y croire ou pas.»

Très juste. Mais on peut aussi faire comme Johnny Carson, qui faisait du divertissement lui aussi, mais qui n'aimait pas avaler des couleuvres.

En 1973, la star du paranormal mondiale s'appelait Uri Geller. Le jeune Israélien pliait des objets métalliques, comme des cuillers, par la seule force de sa pensée. Ou en les frottant très fort, tout en se disant «Plie! Plie! Plie!» Ça faisait de la bonne télé.

Carson a donc invité le plieur de métal. Mais sur les conseils de son ami James Randi, l'animateur a imposé à Uri Geller l'argenterie du Tonight Show. Pas celle - évidemment trafiquée - du prodige.

Ce soir-là, Uri Geller n'a pas plié une cuiller, Chantal.

Pas une seule.

Quel est le slogan de TVA, déjà? Ah, oui: «TVA, c'est vrai».

Douce ironie.