Je ne recycle pas, je prends probablement trop mon char et je n'ai pas d'opinion sur le tramway. Voilà. C'est dit. En ce siècle, je suis probablement un mauvais citoyen. Enfin, pour Projet Montréal, je suis certainement un mauvais citoyen.

Pourquoi, alors, suis-je pâmé sur Luc Fernandez, maire du Plateau, élu sous la bannière de Projet Montréal?

Ah, oui, désolé... C'est Ferrandez. Je n'arrive jamais à dire ça (nous sommes plusieurs comme ça). C'est comme dire Temblay plutôt que Tremblay, vaguement pas correct...

 

Donc, oui, j'ai cette admiration pour un maire, Luc Ferrandez, dont je ne partage ni les passions ni l'idéalisme. Ça tient à ce refus de la langue de bois, refus qui est magistralement exprimé dans son blogue.

Le maire Ferrandez, voyez-vous, blogue. Avec une candeur qui fait de lui un OVNI en politique municipale, pour ne pas dire en politique tout court. Ce blogue est une fenêtre ouverte, fascinante, sur le quotidien d'un élu.

Ces billets candides qu'il signe de façon irrégulière sont autant de grenades qu'il laisse sur son chemin, qui peuvent servir à pulvériser sa crédibilité. Mais il s'en fout. Il blogue. Sans langue de bois.

Je cite son billet de dimanche, évoquant un haut fonctionnaire des Transports: «Le MTQ a toujours été dirigé par des attardés sociaux que seul le fantasme d'une retraite prochaine dans une roulotte en Floride garde en poste - au mépris de la douleur que génèrent, dans l'intervalle, les horreurs qu'ils construisent aux quatre coins de la province.»

L'OVNI est apparu sur les radars quand Gabriel Béland a fait une nouvelle de ce billet, sur Cyberpresse. L'étiquette «attardés sociaux» a collé dans l'imaginaire. Hier matin, il a fait la rondes d'entrevues radiophoniques matinales.

«Je ne le regrette pas, me dit-il. Avant, j'écrivais pour 200 chums. Des fois, j'oublie que j'écris et que 200 journalistes me lisent! Remarque, si j'y pensais, j'aurais juste hésité 15 secondes de plus avant d'écrire la même chose...»

Le XXIe siècle a multiplié les occasions, pour tout le monde, de prendre la parole. Y compris pour les élus. Les élus qui distribuent des miettes de sagesse sur Twitter et sur Facebook, par exemple, sont légion.

Suis-je le seul à remarquer qu'ils sont pour la plupart dans l'opposition? La jeune députation péquiste, par exemple, est en verve sur ces plateformes. Quand ils seront ministres, j'ai bien hâte de voir s'ils vont confier la rédaction de leurs pensées à leurs javélisantes attachées de presse...

Ce qui est couillu, c'est de prendre ainsi la parole, hors des communiqués de presse, quand on occupe un poste exécutif. Comme Luc Ferrandez. Parce que ça vous expose. À quoi? À tout. À la critique. Aux manchettes des médias. Et à vos propres mots, qui peuvent revenir vous mordre le derrière, plus tard...

Quand on le lit, Ferrandez passe pour un radical, l'héritier barbu de l'urbaniste Jane Jacobs. Pourtant, dans le quotidien, avec sa cravate et son complet bien taillé, c'est un maire tout à fait «pragmatique», m'assure une personne de l'entourage du maire Tremblay qui a eu à composer avec lui.

Ferrandez en convient: «Mon déchirage de chemise, c'est celui d'un militant qui n'est pas en colère 90% du temps. Mais je me permets un peu de colère. Cette colère démontre le niveau de détresse d'une population qui est confrontée à l'immobilisme.»

Le milieu, dit-il, ne veut pas d'un Turcot 2.0 pour remplacer l'échangeur actuel. Le maire Tremblay n'en veut pas. L'opposition municipale n'en veut pas. L'opposition péquiste n'en veut pas. Le BAPE a exprimé des réserves.

Or, que veut le gouvernement du Québec?

Un Turcot 2.0!

«C'est inhumain de demander à des banlieusards de passer une heure et quart chaque matin dans leurs chars pour entrer à Montréal. Mais c'est inhumain de faire passer 80 000 voitures dans un quartier, aussi...»

D'où ce billet dont il a accouché dimanche. Un billet sarcastique, comme plusieurs autres qu'on trouve sur son blogue. Mais, aussi, presque pédagogique. Ferrandez explique, illustre, lance des exemples. On aurait tort de cantonner ses efforts blogosphériques à cette étiquette d'«attardés sociaux» qu'il a lancée...

Mon ami Michel Dumais, spécialiste des nouvelles technologies, animateur de L'homme numérique, à CIBL, apprécie le blogue du maire. «C'est très intéressant de le voir bloguer. Et échanger, aussi, avec ses lecteurs. Mais il devrait tourner sept fois son clavier, parfois, avant d'écrire. C'est un élu. Il a la responsabilité d'observer un certain décorum dans le débat public.»

Peut-être, Michel...

Mais sais-tu quoi?

Malgré ses gros mots, j'ai enfin l'impression, avec Ferrandez, que nos élus ne sont pas tous des robots qui remâchent pour consommation publique de la bullshit écrite par des conseillers en communication.

J'ai l'impression que celui-ci, va savoir pourquoi, se contrefiche d'être réélu en 2013.

Ça fait changement.