C'était écrit dans le ciel: c'était la boutique Foot Locker qui allait, la première, faire les frais de la casse qu'on sentait déjà dans le fond de l'air, rue Sainte-Catherine, après 23h30. Trop de jeunes hommes qui reniflaient subrepticement la vitrine.

Trop de jeunes hommes qui jetaient des regards furtifs dans le magasin en faisant semblant de rien.

Trop de jeunes hommes qui se lançaient des sourires complices, qui enfilaient leur capuchon. Faisait pas froid à ce point...

Comprendre l'énergie d'une foule, c'est une affaire de perception, de sensation, de feeling. C'est électrique. J'aimerais vous donner des preuves en béton de ce que je vous décris. Je n'en ai pas. J'ai juste mon pif.

Comme je n'ai pas de preuve qui pourrait vous convaincre hors de tout doute que, entre 23h30 et minuit, ceux qui voulaient fêter la victoire du CH en toute candeur sont partis. Ils ont laissé la rue à ceux qui voulaient autre chose.

Autre chose?

Casser, piller. Mais surtout, beaucoup plus nombreux, ceux qui voulaient regarder les casseurs et les pilleurs. Méchant bon show, le ballet des flics et des tatas qui se lancent des gaz et des bouteilles: un robinet d'adrénaline à ciel ouvert.

Entre 23h30 et minuit, la foule est devenue nettement moins festive. En fait, il n'y avait plus de fête. Il y avait quelque chose comme une envie de brutalité. À minuit, quand ta petite bande de hooligans du dimanche hurle encore «FUCK CROSBY!», ce n'est pas tout à fait la douceur qui enrobe ton coeur...

Ceux qui traînaient encore dans la rue Sainte-Catherine à minuit voulaient un show, un affrontement avec la police, voir des vitrines exploser, humer du gaz poivre. Ils ont été servis.

Et les flics, dans tout ce carnaval?

Jusqu'à 23h30, très patients. Tolérants. Après, pas mal moins sympathiques. Mais, comme je disais, autour de minuit, si tu traînais rue Sainte-Cath, tu n'étais plus là pour goûter le miel de la victoire. Tu étais là pour autre chose.

On dirait bien que, encore avant-hier, le SPVM a compris que la seule façon d'éviter d'avoir l'air fou comme en 1986, en 1993 et en 2008, c'est de déployer massivement des policiers. Et, oui, pour ça, il faut planifier et il faut payer des heures supplémentaires.

Encore qu'une source me dit que le SPVM n'a pas voulu déployer les 200 agents du groupe antiémeute, les mieux entraînés et les mieux équipés pour ce genre de situation: on en a envoyé 160. Les policiers croient que le SPVM a voulu faire des économies de bouts de chandelles, comme en 2008.

Dans mon petit groupe, on s'attendait donc à ce que le Foot Locker soit frappé le premier. Nous avions tort. C'est la vitrine de la SAQ qui a explosé la première. Celle du Foot Locker a volé en éclats tout de suite après.

Et hop, on a commencé à voir des gars mettre des bouteilles de scotch dans leur pantalon, cacher des chaussures de sport dans leur sac, un peu partout...

Rien de très édifiant sur la nature humaine, bien sûr. Pathétique, même. Risquer l'arrestation, le casier judiciaire pour une bouteille à 30$ ou des Nike à 90$, euh, comment dire... De belles têtes de vainqueurs.

Mais, en même temps, rien de dramatique. Bien sûr, on dira qu'une vitrine cassée, c'est une vitrine de trop. Je veux bien. Mais ça n'a rien à voir avec les dérapages de 2008, de 1993 ou de 1986. Deux, trois boutiques pillées, mercredi. C'est pas Beyrouth...

Et je sais que je ne vais pas me faire d'amis, mais si vous avez un commerce le moindrement attirant pour une foule rue Sainte-Catherine, ce serait peut-être une bonne idée de doter votre boutique d'une grille métallique. Cela dit sans vouloir blâmer les «victimes».

Mais Montréal est une grande ville et la tradition, dans les grandes villes, c'est de casser un peu de mobilier quand l'équipe locale gagne. On le sait, désormais.

Ces tatas cassent les vitrines à coups de pied et en lançant des trucs trouvés dans la rue. On ne parle pas de voleurs organisés qui font des trous dans le béton avec des instruments high-tech sortis d'un film de James Bond. Une grille métallique éloignerait bien des petits filous. Je dis ça comme ça...