Mes deux parents sont morts de cancers. Pas besoin de préciser que ce fut, dans les deux cas, long et pénible. Pour eux. Pour nous. C'est probablement pourquoi dans le débat sur le suicide assisté, je suis du bord de l'Oregon.

Si vous êtes un Orégonais et atteint d'une maladie incurable, vous avez le droit de vous faire prescrire un cocktail mortel. Qui vous permettra d'en finir où et quand vous le voudrez.

Non, le «Death with Dignity Act» de l'Oregon ne permet pas de faire euthanasier grand-maman pour toucher son héritage. Non, il ne permet pas d'endormir le nouveau-né trisomique parce que celui-ci est un cas «lourd».

Deux médecins doivent vous examiner et déterminer que, oui, votre mal est incurable. Que la médecine ne peut rien pour vous. Puis, un psychiatre décide si vous êtes sain d'esprit.

Après, et seulement après l'aval de ces trois médecins, on vous remettra une ordonnance pour obtenir un cocktail qui vous tuera rapidement, sans douleur.

Je veux vivre dans une société comme ça. Dans une société qui me donne l'option d'avaler un cocktail, si le destin me frappe. Je ne sais même pas si, à la fin, je l'avalerais. Mais j'aimerais l'avoir dans le tiroir de ma table de chevet.

Le plus beau, dans le cas de l'Oregon (et, dans celui de l'État de Washington, qui a adopté une loi similaire récemment), c'est que très peu de malades se font prescrire le cocktail mortel. Moins de 1000 par année. Ceux qui choisissent de l'avaler sont encore moins nombreux. La majorité des gens condamnés par la maladie choisissent de ne pas se suicider.

On oublie, dans le débat sur le suicide assisté, que la vie, c'est fort en maudit.

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Je ne veux faire brailler personne. Mais une mort longue et pénible, c'est une indignité terrible à supporter. Pour le mourant, d'abord et avant tout, évidemment. Qui se voit, qui se sent décliner. Le cancer, désormais première cause de mortalité au Canada, est assez répandu pour que chaque lecteur de cette chronique l'ait vécu aux premières loges.

Ce fut mon cas, en 2000 et 2004. Et j'en ai été assez marqué pour ne pas tolérer très longtemps les bêtises dans le débat sur le suicide assisté.

C'est pourquoi, il y a deux semaines, j'ai souhaité à Marc Ouellet, cardinal de Québec, une mort longue et pénible. Pas pour ses propos sur l'avortement. Mais bien pour ses propos sur le suicide assisté et l'euthanasie.

Pour le porte-parole des intégristes de Rome au Québec, les discussions sur l'euthanasie participent d'une «culture de mort». Juste ça!

Ce week-end, dans La Presse, ma collègue Katia Gagnon, spécialiste des portraits de personnages plongés dans la marmite bouillante de l'actualité, a fait celui, magistral, du cardinal Ouellet. On y apprend que l'Abitibien est un intellectuel, qui s'est mis à enseigner la philo en Colombie en espagnol, quatre mois après s'être mis à la langue de Carlos Valderrama.

Formidable. Mais avec le commun des mortels, Mgr Ouellet est mal à l'aise. Un passage, pour vous situer:

«Après toutes ces années d'étude et de travail à Rome, Marc Ouellet est devenu un intellectuel de haut vol qui parle sept langues. Jamais il n'a oeuvré dans une paroisse. Jamais il n'a conseillé un fidèle», écrit Katia, qui écrit aussi que le pape a trouvé le moyen de visiter, l'an dernier, plus de paroisses à Rome que Ouellet à Québec.

Bref, pas surprenant que Marc Ouellet épouse si férocement les idées du Vatican: il connaît mieux les idées que les hommes.

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Après avoir lu ma chronique sur Marc Ouellet, un lecteur de Gatineau, Laurent Collin, m'a envoyé un passage de La peste. Dans le roman de Camus, des personnages tentent de soulager leurs semblables dans Oran en quarantaine, accablé par une épidémie de peste. Autour de Rieux, le médecin-héros de La peste, qui ne croit pas en Dieu, il y a Tarrou, l'humaniste; Paneloux, le père jésuite; Rambert, le journaliste...

L'échange envoyé par M. Collin se déroule entre Rieux et Tarrou et évoque Paneloux, le jésuite moralisateur:

«Tarrou se carra un peu dans son fauteuil et avança la tête dans la lumière.

- Croyez-vous en Dieu, docteur?

La question était encore posée naturellement. Mais cette fois, Rieux hésita.

- Non, mais qu'est-ce que cela veut dire? Je suis dans la nuit, et j'essaie d'y voir clair. Il y a longtemps que j'ai cessé de trouver ça original.

- N'est-ce pas ce qui vous sépare de Paneloux?

- Je ne crois pas. Paneloux est un homme d'études. Il n'a pas vu assez mourir et c'est pourquoi il parle au nom d'une vérité. Mais le moindre prêtre de campagne qui administre ses paroissiens et qui a entendu la respiration d'un mourant pense comme moi. Il soignerait la misère avant de vouloir en démontrer l'excellence.»