Le premier réflexe du chroniqueur athée, farouchement anti-soutanes, dégoûté par les dérives de l'Église catholique, c'est d'ironiser au sujet de ce jamboree orchestré par le Vatican, de mépriser le côté marketing des canonisations.

J'ai ce réflexe-là.

Mais ce ne sera pas cette chronique-là.

Parce que mépriser l'engouement qui accueille, un peu partout au Québec, l'accession d'Alfred Bessette au rang de saint catholique, saint frère André, ce serait mépriser une partie de ma patrie, une partie de ma famille, une partie de moi-même.

J'ai été élevé comme un bon petit catholique. Baptisé, confirmé, l'église pas tous les dimanches, mais assez souvent. À Noël, à Pâques, toujours. La petite Bible illustrée, un buste de Jésus en guise de veilleuse pour lire en cachette, le pèlerinage à Sainte-Anne-de-Beaupré...

Du côté paternel, Dieu, c'était fort. Et le frère André, c'était quelqu'un, même près d'un demi-siècle après sa mort. Je me souviens encore des médailles à son effigie qui traînaient ici et là chez ma grand-mère Doréenne et mon grand-père Gérard. Interfaces de miracles qu'on espérait, encore et toujours, grands et petits...

L'oratoire Saint-Joseph? Souvenir lugubre. On a beau être élevé comme un petit catholique, Dieu que la messe m'emmerdait! C'était long, tatillon et il fallait constamment se mettre à genoux, apprendre des prières par coeur.

Mais à l'Oratoire, c'était pire. Il y avait le coeur du frère André. Le coeur, rien que ça! J'avais peur un peu de cet organe mystique. Et les béquilles accrochées aux murs imposaient un côté maison hantée à cette section de l'Oratoire...

Je fouille dans le passé et c'est l'évidence: ce bord-là de ma famille incarne le Québec religieux. Des grands-parents nés après la Première Guerre mondiale, dans une société farouchement catholique. Personne ne croyait aux chakras ou à Bouddha, dans cette société-là. La religion n'était pas un choix ou une coquetterie. On tombait dedans comme, bien souvent, on tombait dans la misère.

Les enfants de mes grands-parents, bien sûr, forcément, ont été élevés comme des catholiques. Puis, enfants de la Révolution tranquille, ils ont continué à croire avec plus ou moins de ferveur. Jamais avec la même ferveur que leurs parents...

Et nous, les petits-enfants? Je sais que certains font baptiser leurs enfants à l'église. Mais nous sommes à des années-lumière, probablement, de nos grands-parents, pour qui il n'aurait jamais été question de mettre les miracles du frère André entre guillemets...

Né et élevé en petit catholique, je suis devenu athée, pour des raisons qui ne regardent que Dieu et moi. Il m'arrive quand même de trouver ironique que ne pas croire aux enseignements de la Bible, en 2010, relève vaguement du même conformisme qui obligeait tout le monde à croire en 1937...

Bien sûr, je me retiens à deux mains pour ne pas dire que les miracles, ça n'existe pas. Ce qui existe, ce sont des guérisons inexplicables. Ça arrive. La science ne sait pas pourquoi. Et l'Église choisit d'appeler ça des miracles.

Depuis quelques jours, je me demandais pourquoi j'étais si tolérant envers cette avalanche de bondieuseries, ce show de canonisation, ces témoignages jurant que le frère André a guéri un fils, une mère, un oncle...

Puis, je suis tombé sur un papier de mon collègue Marc Thibodeau relatant le rôle d'une hématologue de Kingston, Jacalyn Duffin, dans la canonisation de Marie-Marguerite D'Youville. La Dre Duffin, athée, qui a témoigné au Vatican dans le procès en canonisation de la fondatrice des soeurs de la Charité, y tient ces propos lumineux: «Ma conviction qu'il y a une explication naturelle à tous les phénomènes est une croyance parce que je ne dispose pas des preuves qui permettraient de prouver que j'ai raison. Pourquoi mettrais-je ma croyance au-dessus de celle d'une patiente qui pense que Dieu l'a guérie?»

On peut rire du Vatican, de ses dogmes. Il faut en rire. Rire de la foi? Le petit catho en moi n'aimerait pas. Doréenne, au paradis, non plus...