C'était à Mascouche, lundi soir. Frette et pluvieux. La salle du conseil municipal était remplie de citoyens en colère, furieux des révélations récentes de Radio-Canada sur le copinage honteux entre leur maire, Richard Marcotte, et un grand constructeur du 450, Normand Trudel.

Dans la salle, ils étaient une centaine. Dehors, une cinquantaine. Des flics en uniforme montaient la garde pour préserver un peu le décorum. Peine perdue.

Quand les élus sont entrés, ils ont été accueillis par des huées. On visait bien sûr les conseillers du Ralliement Mascouche, parti du maire Marcotte. Des huées, puis les gens se sont mis à scander ce qui pourrait être le slogan de Richard Marcotte en 2013: «L'enveloppe! L'enveloppe! L'enveloppe!»

Où était le maire?

Absent.

Juste avant la réunion, il avait annoncé qu'il quittait temporairement ses fonctions. Ça lui évitait d'avoir à donner sa version de l'histoire, dans le blanc des yeux, aux gens qui l'ont élu pendant 20 ans. Grâce au job d'Émilie Dubreuil et de son équipe, à Radio-Canada, on savait depuis la semaine passée que Marcotte manquait d'éthique. On a su, lundi, qu'il manquait aussi de couilles.

Remarquez, il n'est pas seul à manquer de courage. Jean-Marc Robitaille, maire de Terrebonne, municipalité voisine, dont les relations troubles avec le même grand constructeur Trudel ont été exposées par QMI, a fait la même chose, lundi.

C'est bizarre, il n'y a jamais de philosophe, de boulanger ou de livreur de pizza dans les amitiés qui hantent nos élus. Non, il s'agit toujours d'un Bob le bricoleur local, entrepreneur de son état, qui a le don de décrocher sa part de contrats publics. Ça parle au diable!

Je sais, je sais. Le citoyen croit que ses élus sont corrompus. Il lit les journaux, il regarde la télévision, il voit ces histoires de copinage, ces relations floues entre l'Élu et Bob le bricoleur. Mais le citoyen se trompe!

Oui, le citoyen se trompe: au Québec, l'Élu n'est jamais corrompu. Pouvez-vous me dire, en effet, quel maire, quel député, quel ministre s'est fait coffrer par la justice, dans les dernières années?

Je n'en vois pas. Oh, il y a très longtemps de cela, René Dussault et Irving Grundman se sont fait passer les menottes. Mais ils étaient de vulgaires échevins.

Non, la police a beau enquêter, enquêter, enquêter, à coups de Marteau même: aucun élu ne se fait jamais passer les menottes, dans cette province. Du scandale des commandites aux contrats municipaux donnés à l'ami Bob, on peut être sûr d'une chose: l'Élu n'enfreint jamais la loi.

Tenez, prenez Tony Tomassi. L'ex-ministre de la Famille possédait et utilisait une carte de crédit d'un ami, généreux donateur à la caisse libérale. Ce n'est pas une invention de journaliste: c'est le premier ministre du Québec qui l'a dit, qui a invoqué cet accroc pour justifier son renvoi!

Or, quelqu'un a-t-il vu Tony Tomassi se faire passer les menottes?

Non.

Il y a un an, on a appris que la mairesse de Boisbriand, Sylvie St-Jean, avait assisté à une réunion où un Bob le bricoleur local, Lino Zambito, avait demandé à des conseillers de l'opposition de ne pas défier la mairesse et son équipe aux élections. Question de ne pas avoir d'élections, justement.

Quelqu'un s'est-il fait passer des menottes dans cette affaire?

Non.

Donc, il n'y a pas de corruption. Ni au municipal, ni au provincial. Cessez de parler de corruption, de grâce. Et il n'y a pas, comme l'ont scandé les gens de Mascouche lundi soir, de «voleurs».

Aux États-Unis, le FBI épingle régulièrement des gouverneurs (Rod Blagojevich), des sénateurs (Ted Stevens), des state senators et des maires (le New Jersey est une pépinière) pour des histoires de corruption et de trafic d'influence.

Mais ici?

Ici, non, il n'y a que des «dérives éthiques». Pas de corruption. Sachez-le. Tout est propre, propre, propre, au Québec.

C'est pour ça que le maire de Saint-Jérôme, Marc Gascon, également président de l'Union des municipalités du Québec (UMQ), a plaidé il y a à peine cinq jours pour que Québec nomme un commissaire à l'éthique, question d'aider les élus à naviguer dans les eaux houleuses de la gestion municipale...

Or, qu'apprend-on aujourd'hui, sous la plume de l'équipe d'enquête de La Presse?

Que ce même M. Gascon a entre autres choses fait rénover sa maison par au moins trois entrepreneurs qui reçoivent des contrats de la Ville de Saint-Jérôme! Et il n'y voit aucun problème. Aucun!

Ce n'est pas d'un commissaire à l'éthique dont certains élus, provinciaux ou municipaux, ont besoin pour éviter les copinages nauséabonds.

C'est d'une greffe de jugement.