Je suis peut-être bizarre, mais j'aime avoir le tableau complet, quand on me raconte une histoire. Pas une toute petite partie de l'histoire. C'est pourquoi je veux vous parler de Guillaume Tremblay.

C'est ce jeune député péquiste qui, au début du mois, a témoigné dans un reportage d'Enquête, à Radio-Canada, pour relater une tentative d'intimidation faite à son endroit par un entrepreneur du coin, Normand Trudel.

Enquête a exposé les liens particuliers entre le maire de Mascouche, Richard Marcotte, et M. Trudel. Une entreprise de M. Trudel, selon la journaliste Émilie Dubreuil, aurait payé des travaux faits à la résidence du maire.

À la caméra, le député Tremblay est allé raconter une belle histoire.

Il est allé raconter que Normand Trudel lui a confié que si le maire Marcotte s'est rendu où il s'est rendu, c'est «parce qu'il travaille avec moi». Selon le député, Normand Trudel lui a dit: «Si tu veux te rendre là, il va falloir qu'on travaille ensemble.»

Plus tard, confie M. Tremblay à Émilie Dubreuil, il a critiqué publiquement Écolosol, une entreprise de M. Trudel impliquée dans une affaire d'enfouissement non conforme.

Cela lui a valu un appel furieux de l'entrepreneur: «Il a essayé, non pas de me menacer, le terme est trop fort, mais de m'intimider. Il m'a dit: "J'pense que tu sais pas vraiment à qui tu parles. J'vais m'arranger pour que tu te souviennes de moi."»

C'est une belle histoire, dans le sens où nous avons un Bob le bricoleur local qui joue aux bras avec un jeune et intrépide député. Pas difficile, dans son salon, de choisir qui est le bon et qui est le méchant, dans cette histoire-là.

C'est une belle histoire. Et peut-être même qu'elle est vraie.

Malheureusement, elle est incomplète. Guillaume Tremblay a oublié de raconter ses liens privilégiés avec M. Trudel.

Il ne l'a pas fait, alors permettez que je le fasse.

Avant, voici un peu de contexte...

Masson est un château-fort péquiste. En 2007, le député Luc Thériault a été emporté aux élections par la vague adéquiste qui a laissé sur les banquettes de l'Assemblée nationale un gouvernement libéral minoritaire.

Fin 2007, Guillaume Tremblay a décidé de briguer l'investiture péquiste. Luc Thériault était sur les rangs. Contre toute attente, la recrue Tremblay a battu l'ex-député Thériault à l'investiture. Il gagnait ainsi le droit d'être candidat péquiste à la prochaine élection. En décembre de la même année, Tremblay a reconquis Masson pour le PQ.

Ça, c'est le contexte interne dans Masson.

Le lien entre Tremblay et Trudel, maintenant. Après la diffusion du reportage, un type de ma connaissance, qui n'a aucun lien avec la politique, prend contact avec moi. Le Normand Trudel torpillé par le jeune député, me dit-il, l'a pourtant bien aidé quand il briguait l'investiture péquiste. Checke ça, me dit le gars...

Alors, que pensez-vous, je checke, je checke! Puis, je trouve.

J'apprends que Normand Trudel, fin 2007, est allé à la permanence du Parti québécois assister à une réunion, avec le jeune militant Tremblay.

Ayoye. Voilà qui est intrigant! Normand Trudel qui assiste à un meeting au PQ. Avec Guillaume Tremblay...

Qui me dit ça?

J'ai promis de ne pas révéler l'identité de cette personne. Je peux dire ceci: c'est quelqu'un qui était à la réunion.

Mais je n'ai qu'une source, ici. Pas question d'aller publier cette histoire sur la foi d'une seule source qui, en plus, ne veut pas voir son nom dans le journal.

Hum, qui pourrait me donner des détails? Je décide de joindre Normand Trudel lui-même, en personne. Je lui envoie un courriel. Il n'a accordé qu'une entrevue, depuis les révélations d'Enquête, à un hebdo local, La Revue, mais je tente ma chance et lui envoie quelques questions sur ses liens avec Guillaume Tremblay.

J'attends. Pas de réponse.

Entre-temps, Paul Journet, correspondant de La Presse à Québec, va poser des questions à Guillaume Tremblay. Le député nie toute relation particulière avec l'entrepreneur Trudel, qu'il a planté dans le topo d'Enquête. Il n'a «jamais, jamais, jamais» assisté, jure-t-il, à une rencontre avec Trudel au PQ.

Puis, hier, la secrétaire de Normand Trudel prend contact avec moi. Il va répondre à mes questions par écrit. Elle me dit qu'il ne veut pas accorder d'entrevue, qu'il en a assez des journalistes. Elle m'envoie la lettre. Qui commence ainsi:

«M. Tremblay a demandé à me rencontrer pour me faire part de son intention de poser sa candidature à l'investiture prochaine du Parti québécois dans le comté de Masson - Lanaudière. Nous nous sommes vus à plusieurs reprises...»

Normand Trudel poursuit en me disant que le PQ n'était pas chaud à l'idée de voir un jeunot briguer l'investiture dans Masson. D'autant plus que, dans Terrebonne, circonscription voisine, une autre verte recrue, Mathieu Traversy, visait l'investiture.

«Guillaume Tremblay m'a demandé d'intervenir personnellement auprès du directeur général du Parti québécois de l'époque afin de faire valoir sa candidature et c'est ce que j'ai fait.»

Voilà qui est intrigant! Normand Trudel qui déclare, à visage découvert, être intervenu auprès du directeur général du PQ pour faire mousser la candidature de Guillaume Tremblay. La même rencontre dont me parlait la première source.

Dans une réponse à une question subséquente, Normand Trudel a ajouté un détail que je connaissais, mais que je ne lui avais pas révélé: la rencontre au PQ, où il a accompagné le futur député Tremblay, a eu lieu au bureau du directeur général. Un détail, mais aussi une corroboration supplémentaire.

Voilà. Le tableau est plus complet. La véritable histoire, évidemment, est moins bonne. Guillaume Tremblay a l'air plus bullshiteux que glorieux.

Le député Tremblay, hier, a maintenu sa version. Le PQ, lui, m'a fait dire qu'il croit son député.

Pas moi.