Vous êtes-vous étouffé dans vos Corn Flakes en lisant le titre de cette chronique? Je sais, il s'agit d'une affirmation surprenante. Le premier ministre Charest ne vient pas spontanément à l'esprit pour symboliser le mot «leadership» en 2010.

Il s'agit d'une affirmation surprenante et elle n'est pas de moi, elle est de M. Luc Beauregard, légende des relations publiques québécoises, président du conseil de Res Publica et fondateur de la non moins légendaire firme National.

Donc, la semaine dernière, M. Beauregard a prononcé une conférence à l'Association des MBA du Québec. Thème de la conférence: le leadership. Sous-thème: les leaders québécois sont bien malmenés, en cette ère de dérapages médiatiques en continu...

Un extrait du discours de M. Beauregard a été publié dans La Presse, vendredi: je connais quelques journalistes qui se sont étouffés dans leurs Corn Flakes, en la lisant.

Bien sûr, c'est un gouffre qui sépare les relationnistes des journalistes. Nous essayons de décrire le réel et une partie du job des relationnistes, c'est de s'assurer que nous dépeignions le réel en jolis teints tirant sur le rose.

Alors imaginez quand c'est un des magnats des relations publiques qui parle. Ce n'est plus un gouffre qui nous sépare. C'est le Grand Canyon.

Luc Beauregard lance les salves habituelles aux journalistes. Esclaves du live, recours intempestif aux sources anonymes, mépris de la présomption d'innocence des gens qui font l'objet d'enquêtes journalistiques. Ces critiques sont souvent valables, mais je ne suis pas sûr qu'elles le soient dans la couverture des liens hautement suspects entre le fric, le politique et les grands constructeurs, depuis deux ans.

Mais c'est avec le constat qu'il pose sur le mécanisme qui a mené à une quasi-unanimité, au Québec, sur la pertinence d'une commission publique d'enquête sur ces saloperies que l'on sait, que M. Beauregard m'a quasiment achevé.

«Tout journaliste digne de ce nom, écrit M. Beauregard, veut être le Daniel Lebanc* d'une commission Gomery. Au terme d'un tel battage, on fait alors un sondage et on rapporte, comme si c'était une surprise, que bien oui! la population veut une enquête publique...»

Une commission d'enquête publique, prédit ensuite M. Beauregard, «salirait inconsidérément les réputations», en plus de paralyser le Québec «pour encore une autre décennie». Juste ça!

Puis, M. Beauregard commet ce paragraphe: «En tenant tête à la clameur qui veut un bûcher officiel pour poursuivre le lynchage en continu, et en privilégiant la règle de droit et le processus judiciaire, M. Charest a jusqu'ici fait preuve de leadership.»

Ayoye! M. Charest a jusqu'ici fait preuve de leadership. C'est la citation de l'année, peut-être même l'abus de Photoshop de la décennie, dans le rayon «refaire l'image» de quelqu'un, même bénévolement...

Je vais rester diplomate: si Jean Charest a fait preuve de leadership en se mettant la tête dans le sable, depuis deux ans, et celle de son gouvernement avec la sienne, c'est davantage une démonstration de son instinct de survie que celle de son leadership...

M. Beauregard a le droit de penser, remarquez, que Jean Charest fait preuve de leadership et que les médias sont injustes avec nos élus.

Mais j'aurais aimé que Luc Beauregard, dans son discours et dans le texte publié dans La Presse, précise que National reçoit de nombreux contrats de relations publiques de différentes mamelles du gouvernement de Jean Charest.

M. Beauregard, fort affable quand je l'ai interviewé, vendredi, m'a répondu que le secteur public «ne représente que 17% du chiffre d'affaires» de son entreprise. Je trouve que 17%, ce n'est pas banal, mais on ne va pas s'obstiner: National reçoit beaucoup de mandats d'un gouvernement qui a été salement malmené depuis deux ans, dans ces affaires de copinage.

Il y a les villes, aussi. Prenez Laval. Le maire Vaillancourt s'est retrouvé pieds nus sur les charbons ardents du journalisme d'enquête, récemment, soupçonné d'avoir offert des enveloppes de cash à des candidats aux élections provinciales.

«Or, qui a un contrat de relations publiques pour Laval? Eh, oui, National: le dernier contrat, de trois ans, vaut près de 2M$.» National n'a, bien sûr, rien à voir dans ces affaires de copinage. Mais certains de ses clients, si. Quand on sait cela, la défense passionnée de M. Beauregard pour ces leaders malmenés par les méchants médias prend une autre saveur. Encore faut-il le savoir.

C'est dans la nature des choses, j'imagine, pour le patron d'une grande firme de relations publiques comme National, qui fait aussi dans la gestion de crise, de vouloir montrer les choses sous leur meilleur jour.

Mais dire de Jean Charest que c'est un leader, désolé, mais ce n'est plus de la déformation professionnelle. C'est trop, même pour le fleuron d'une profession qui tente parfois de faire passer des éléphants pour mère Teresa.

MAUVAIS TITRE - Je sais bien que le titre de ma dernière chronique, La Clique de Limoilou, était mal choisi. Que les animateurs de radio populiste de Québec habitent davantage Val-Bélair que Limoilou. Je voulais dénoncer par l'absurde la bêtise de ces étiquettes, et quelle face avez-vous fait? La face que je fais quand j'entends les monologues de Jean-Thomas Jobin, dont je ne comprends pas l'humour...

* Daniel Leblanc est journaliste au Globe and Mail, ses papiers ont exhumé l'histoire des commandites fédérales au Québec.