C'était dans Le Devoir d'hier: Amir Khadir est le politicien le plus populaire au Québec, selon un sondage de Léger Marketing. Il coiffe un palmarès à la MetroStar qui ne veut rien dire: 45% des Québécois apprécient le solitaire député de Québec solidaire.

Ça ne veut rien dire, bien sûr. Dans le sens où ce genre de sondage saisit (attention, cliché chaud devant) l'humeur du moment. Dans le sens où François Legault, qui n'a ni nom de parti, ni candidats, ni bénévoles, ni siège à l'Assemblée nationale ni même Joseph Facal comme lieutenant, est troisième.

Mais en même temps, quelque part, ça veut tout dire...

Les gens ne sont pas cons. Ils savent que Québec solidaire, à moins d'une révolution dans notre mode de scrutin, ne sera jamais un «gros joueur» susceptible de changer les choses à Québec. Mais ils savent aussi qu'en cette ère de politiciens sous influence d'enveloppes brunes ou blanches, de Bob le Bricoleur aux poches pleines de cash, d'organisateurs politiques également papas d'avocats souhaitant devenir juges, d'amis entrepreneurs intéressés par des permis de garderie; ils savent que Khadir, malgré ses défauts, malgré son occasionnelle grandiloquence, malgré quelques niaiseries (lancer du soulier sur une effigie de Bush, doutes sur les causes réelles des attentats de septembre 2001), est un homme libre.

Libre parce qu'en tant qu'unique député d'un parti n'ayant jamais été au pouvoir, il peut fesser, dénoncer et ruer dans les brancards sans crainte qu'un squelette enfoui dans le placard de sa famille politique ne vienne le contredire.

Notre homme a cité Gaston Miron le soir de son élection, en 2008. Mais voilà, il s'est pointé là où on ne l'attendait pas tellement: dans les coups fumants. Il a délaissé Miron et s'est mis à dénoncer les minières, qui jouissent au Québec d'un deal fiscal scandaleux. En 2009, il a attaché le grelot aux inquiétudes du vérificateur général du Québec, qui notait que les minières paient des redevances microscopiques à l'État, pour exploiter nos ressources.

Dans les scandales de corruption et de collusion entre l'univers de la construction et celui de la politique, le député de Mercier ne s'est pas contenté de dénoncer. Il a mis en lumière des dons hautement suspects de quatre firmes de génie au Parti libéral du Québec. Cela a mené à des amendes du Directeur général des élections.

Bref, Khadir n'a pas de statut officiel à l'Assemblée nationale. Il a créé son propre rôle: poil à gratter officiel.

Mon ami Jean-François Lisée, blogueur politique à L'actualité, qui a conseillé deux premiers ministres péquistes jadis, parle de «populisme de gauche», en cherchant les sources de la popularité de Khadir: «Il exploite un filon en émergence, quant à nos ressources naturelles, le nationalisme économique, par exemple, qui transcende la gauche ou la droite. Ce qu'il dit: Nos ressources, c'est à nous.»

Il y a aussi, chez Khadir, ce respect des institutions, cette «gentilhommerie» en Chambre, comme le notait élégamment J. Jacques Samson, chroniqueur au Journal de Québec à propos de Khadir, en lui décernant son titre de parlementaire de l'année 2010, il y a quelques jours. Gentilhommerie qui s'exprime même sur les murs de son bureau, où on trouve des photos des députés de Mercier au fil des années, libéraux et péquistes. Lisée se dit «agréablement surpris» de voir un Khadir courtois alors qu'on attendait, en 2007, un homme plus hargneux.

«Dans ma famille politique, m'a dit hier le député de Mercier, il n'y a pas beaucoup de place pour les coups de gueule et pour les coups de poing sur la table. C'est comme ça dans un parti qui se dit féministe...»

J'imagine qu'à Québec, des animateurs de radio dré-drette, qui ont fait de Khadir leur homme de paille préféré, se sont étouffés dans leurs Corn Flakes, hier, en lisant le sondage du Devoir. Hein, Amir Khadir, politicien le plus populaire au Québec? Un autre signe que le Québec, c'est Cuba, pour l'adorable Clique de Val-Bélair...

«Ce qui se passe au Québec, tout ce climat de collusion, dit Khadir, ce n'est pas dû à Jean Charest personnellement. C'est le fruit d'une trop grande proximité, depuis trop longtemps, entre les intérêts privés et les décideurs publics. Même pour les péquistes, parler au peuple, c'est aller faire des annonces dans les chambres de commerce, à des assemblées de notables...»

La gauche est souvent déconnectée, souvent prisonnière du discours sauce rouge de L'Aut'journal, qui fait passer ses fleurons pour des extraterrestres. Je cite un poète, qui résumait tout: «C'est la gauche. C'est pénible! Impuissance, faiblesse de l'analyse, ignorance de la réalité sociologique du Québec. Bref, ils sont dans les limbes pour un christ de bout de temps...»

J'ose dire: le contraire de Khadir...

Qui est le poète qui a dit cela, au fait?

Gérald Godin, cité dans La renarde et le mal peigné, le touchant recueil de ses correspondances avec Pauline Julien. Gérald Godin qui fut aussi, en son temps, député de quelle circonscription bizarroïde?

Eh oui! député de Mercier...