Personnellement, si j'avais 300 000$ à claquer sur une Lamborghini, je peux vous assurer d'un truc. Elle serait rouge. Pas verte, comme celle qui trône au Salon de l'auto, dans la section des Ferrari, Lamborghini, Aston Martin, Lotus et autres Bentley. Une Lamborghini d'un vert semblable à celui d'une spatule IKEA, désolé, mais ça fait pic-pic.

C'est la réflexion que je me faisais quand Michaël Nadeau m'a tiré de mes rêveries avec son sourire grand comme un Hummer, la main gauche sur le volant d'une Ferrari.

En cet après-midi tranquille, Michaël vivait un trip monumental de p'tit gars de 15 ans: une visite VIP du Salon de l'auto en compagnie de Bertrand Godin, ex-pilote, chroniqueur automobile et porte-parole du Salon. Avec en prime le droit de s'asseoir dans tous les bazous, même les Lamborghini à 300 000$.

Un grand efflanqué a regardé Michaël assis dans la Lamborghini. Sur un ton qui trahissait sa jalousie, il a regardé son ami et déclaré: «Pfff, il doit avoir gagné un concours, lui!»

Pas tout à fait faux. Michaël a gagné une loterie. Ou perdu, je ne sais trop. Son ticket, dans la loterie de la vie, dit: fibrose kystique.

Donc, en cet après-midi tranquille, Michaël est VIP au Salon de l'auto grâce à la Fondation Rêves d'enfants, qui exauce les souhaits d'enfants malades. Quand il a rempli le questionnaire, Michaël a répondu qu'il voulait faire un safari-photo en Afrique. On lui a aussi demandé quel métier il voulait faire quand il serait grand: vendeur d'autos de luxe.

Pour l'Afrique, ça marche. Ce sera le Kenya, en février, avec son père, Stéphane, sa mère, Nancy, et sa petite soeur, Marily.

Pour le job de vendeur d'autos de luxe, Rêves d'enfants ne peut évidemment pas grand-chose, mais on lui a organisé une visite VIP du Salon de l'auto.

Je ne sais pas pourquoi j'ai eu envie de vous raconter l'histoire de Michaël. Peut-être que, en cette semaine de duvaliérite aiguë et de bastaracheries carabinées, je n'avais pas envie d'ajouter ma petite pierre indignée. Juste envie d'une tranche de vie...

Michaël a donc 15 ans, habite à Charlemagne, est en troisième secondaire au collège Saint-Jean-Vianney et occupe la position d'avant-centre dans son sport préféré, le soccer. Ouais, soccer et maladie pulmonaire, je sais, ce n'est pas un mariage évident. C'est pourtant le soleil de son univers. Soccer, soccer, soccer; été comme hiver. Six fois par semaine, dit sa mère.

«Je suis orgueilleux, dit Michaël. Même si je manque de souffle, je me rends au bout de mes limites. En finale, l'été dernier, j'ai hyperventilé, j'étais mort, pu de souffle!»

Vous savez ce qu'est la fibrose kystique: une sale et rare maladie génétique qui encrasse poumons et estomac d'un mucus épais, qui plombe votre vie. Il y a 30 ans, les enfants ne se rendaient pas à l'âge de Michaël. Aujourd'hui, grâce à la recherche, l'espérance de vie est de 40 ans. Parfois plus, parfois moins.

«Je l'ai su quand Michaël avait quatre mois et demi, me dit sa mère, Nancy. Il l'a donc toujours su: quand on se lève, on fait les traitements. On se branche à la machine, pendant 35 minutes, pour dégager les poumons. Il sait que la Terre arrête de tourner pendant ces 35 minutes-là. Après? Tu fais comme tout le monde, t'es libre de faire ce que tu veux.»

Papa Stéphane, de loin, observait son fils déambuler avec Bertrand Godin, aussi gentil qu'il en a l'air, princes des lieux.

«Pour un ti-cul de 15 ans, c'est quelque chose. Je le regarde depuis son arrivée au Salon. Il n'arrête pas de sourire. Le coeur bat plus vite que d'habitude...

- Comment savez-vous que le coeur de Michaël bat plus vite?

- Pas son coeur, répond Stéphane. Le mien!»

On n'imagine pas le tourment de ces parents qui mettent au monde un enfant à qui la vie a donné une date de péremption. En plus de l'angoisse, il y a l'enjeu de la motivation. Ce n'est pas le cas de Michaël, mais disons que vous êtes ado, que vous savez que la vie risque de s'arrêter à 40 ans: pas évident de trouver la motivation pour aller à l'école, avoir de bonnes notes, trouver un métier. Se grouiller le derrière, quoi...

En sortant d'une Audi R8 Spyder encore plus blanche que les dents d'une tarte d'Occupation double, Bertrand Godin a demandé à son jeune protégé: «Pis?» Réponse de Michaël, ébahi, étourdi: «C'est quelque chose!»

J'ai dit à Michaël de regarder le prix de la Spyder, sur l'affiche: À partir de 158 000$...

De toute façon, a décrété Michaël, sa première auto, ce sera une Honda Civic. «Je me vois là-dedans.»

J'ai noté ce «je me vois là-dedans» et j'ai pensé: ce ti-cul est trop occupé à vivre pour penser à la mort. Et, aussi, comme dit la chanson: la vie est un voyage, pas une destination. Et pardonnez-moi si c'est cucul.