Chers amis, l'Amérique est une belle et grande chose! Si vous voulez réussir dans la vie, il faut travailler! Oui, je vous le jure, le travail est la clé! N'acceptez pas «non» en guise de réponse! Faites un peu de musculation. Ah oui, j'oubliais: le bronzage absorbe à merveille la lumière parfois crue du succès...

Mais non, je déconne. Arnold Schwarzenegger n'a pas parlé de son bronzage.

Pour le reste, je déconne à peine...

On connaît tous l'histoire d'Arnold Schwarzenegger. Jeune champion de culturisme autrichien, il a utilisé son physique de grizzly pour se frayer un chemin jusqu'au sommet du box-office hollywoodien. L'immigré qui n'avait pas un sou en poche à son arrivée en Amérique est devenu une star américaine, a amassé une montagne de billets verts et épousé une Kennedy. Ensuite, Terminator a utilisé sa célébrité pour lubrifier sa campagne électorale en Californie, dont il a été le gouverneur républicain de 2003 à 2011. Bref, l'American Dream sous stéroïdes.

Comme gouverneur d'un État ingouvernable aux prises avec des déficits chroniques (les joies de la démocratie directe, qui limitent à sa plus simple expression l'impôt foncier, entre autres choses), Schwarzenegger a étonné, notamment en se posant en défenseur de l'environnement dans un parti qui croit que Dieu roule en Hummer. Mais la Californie est dans la même dèche qu'avant: le déficit a augmenté sous sa gouverne. Il frise les 30 milliards. Un succès, le Governator? Plusieurs en doutent.

Pas grave: avant même qu'il n'ouvre la bouche, les membres de la chambre de commerce du Montréal métropolitain, la crème de la crème de l'entrepreneuriat d'ici, acclamaient déjà Arnold. À peine avait-il mis le pied dans la vaste salle de banquet de cet hôtel montréalais qu'il était déjà applaudi à tout rompre.

Et quand le monsieur de la chambre de commerce a présenté the 38th Governor of California, l'assistance s'est levée pour ovationner Arnold, cravate turquoise et peau orange, jusqu'à ce qu'il arrive à la tribune.

Pas de politique, a-t-il promis dès les premiers mots de son discours: «Je vais vous parler de ma vie. Ce fut une vie extraordinaire.» Le reste a été à l'avenant: une bizarre séance d'autocongratulation où le colosse a célébré sa vie, son goût de l'effort et son amour pour les États-Unis d'Amérique.

Voici quelques miettes de sagesse qu'Arnold Schwarzenegger a lancées aux membres de la chambre de commerce du Montréal métropolitain:

«On m'a dit qu'on ne peut concilier environnement et économie. Parce qu'on m'a dit que je ne pouvais le faire, j'ai voulu le faire!»

«Dans le sport, on apprend que plus on travaille fort, plus on gagne.»

«On m'avait dit que mon accent m'empêcherait d'avoir du succès. Mais James Cameron, dans le premier Terminator, a dit de mon accent: «Tu parles comme une machine!» Pouvez-vous imaginer quelqu'un d'autre dire «I'll be back»? La leçon: n'acceptez jamais un non comme réponse!»

«Si vous échouez, vous n'êtes pas une moumoune (girlie man). Si vous avez peur d'échouer, vous êtes une moumoune.»

Bref, ce genre de généralités enthousiastes qui font croire que, vraiment, le travail peut déplacer les montagnes et faire de vous une étoile. Suffit d'y croire. Ce genre de phrases creuses que n'importe quel «motivateur» anonyme engagé par une entreprise pour atteindre son quota budgétaire de «formation» peut débiter pendant deux heures...

Sauf qu'ici, c'est une star de cinéma qui débite ces vérités (ou faussetés) de La Palice, des âneries souriantes qui passent pour des traits de génie. Pourquoi? Parce que, dans une société fascinée par la célébrité, ce qui comptait, hier, c'était d'être là, oui, là, dans la même (immense) pièce qu'une marque mondialisée de la pop culture.

C'était un discours très drôle, ne vous méprenez pas. Je suis sûr que je passerais une bonne soirée avec son équipe de scripteurs: ils ont le sens de la formule. Arnold avait très bien appris son texte, il était touchant d'authenticité.

Mais je me demande ce que la crème de la crème du monde des affaires montréalais a pu apprendre, hier midi, à écouter Conan l'ex-gouverneur révéler les ingrédients secrets de son succès planétaire.

Il faut que l'homme d'affaires montréalais paie 350$, 450$ ou 1200$ (selon la proximité avec Arnold dans la salle) pour se faire dire que le succès vient en... travaillant fort? Vraiment?

Et après s'être fait dire cela (avant, même), il... applaudit?

Eh ben.

Des gens ont payé de petites fortunes pour respirer le même air qu'Arnold Schwarzenegger. Il n'y a pas de scandale. Juste cette leçon: il y a une groupie qui dort en chacun de nous, même dans un (e) PDG. Pas de scandale. Mais je me demande si ces billets à 350$, à 450$ et à 1200$, les groupies vont les faire passer pour une dépense déductible de leurs revenus, dans leur déclaration fiscale de l'année 2011.