Environ 300. C'est le nombre de petits Québécois qui recevront, cette année, un diagnostic de cancer. Ton enfant frappé par le crabe: c'est le cauchemar en HD pour tous les parents. Mais 300, sur tous les enfants du Québec, c'est rien. Les statistiques sont de ton bord.

Et si l'oncologue décrète que ce mal bizarre qui afflige ton enfant depuis quelque temps est bel et bien un cancer, il y a une autre bouée statistique à laquelle t'accrocher: 82% de taux de guérison dans le cancer pédiatrique, le meilleur de tous les groupes d'âge.

Ce qui nous amène à Émilie Filiatrault.

Par une matinée récente, Émilie dormait dans un lit à moitié redressé, dans la pénombre de la chambre 21 225, à l'hôpital Sainte-Justine. Émilie était branchée à un appareil qui ronronnait doucement. Julie Deslauriers, sa mère, m'a raconté son histoire.

«Émilie a eu son diagnostic en 2008. Elle avait 5 ans. Neuroblastome. C'est un cancer très rare, qui crée des masses solides. Ça commence souvent au ventre. Ça se répand au système nerveux.»

Dès l'âge de 5 ans, Émilie est devenue un champ de bataille entre le crabe et la science moderne. C'est ainsi qu'on combat le cancer: en lui opposant de la chimiothérapie, de la radiothérapie, des opérations.

«Les chances de survie, pour un neuroblastome, dit Julie, sont de 45%. Cette enfant-là, c'est une tête de cochon! On se disait: c'est sûr, elle va être dans les 45%...»

Le combat d'un enfant cancéreux, c'est évidemment aussi celui de ses parents. Bien souvent, un des deux parents cesse de travailler: c'est un job à temps plein d'épauler l'enfant malade. Julie, enseignante à la maternelle, est en congé de maladie. Quand Émilie est hospitalisée, elle passe la journée avec elle. François Filiatrault, son conjoint, qui travaille à l'École polytechnique, non loin de l'hôpital, vient ensuite passer la nuit, après le boulot. Julie rentre à la maison s'occuper de William, 2 ans, le frère d'Émilie. Une spirale qui n'arrête jamais.

Au milieu du vortex, il y a tout le reste: le fric qui manque, les rendez-vous médicaux, la tristesse, le vocabulaire à apprendre (Sirolimus-en-combinaison-avec-la-Vinblastine), la peur, les antidépresseurs à gober pour ne pas disjoncter...

Julie me raconte sa vie de mère enrôlée dans la guerre contre le crabe d'une voix égale. Sans apitoiement.

«Tu te dis: ça va durer un an, puis ça va aller...»

Puis il y a la rémission. L'espoir. Un voyage aux États-Unis, où Émilie, tellement bourrée de radiothérapie, a fait penser aux douaniers américains qu'elle transportait du matériel radioactif: ah, la gueule qu'ils ont faite en passant sur elle des compteurs de radioactivité! Il y a eu cette course où Émilie a terminé avant-dernière. Les cheveux qui repoussent. La vie qui reprend.

Puis, un soir, juste avant l'Halloween 2009, au souper, le téléphone sonne. C'est l'oncologue. Rechute. Le cancer est revenu.

Il faut reprendre les traitements. Expédition à Toronto pour consulter un spécialiste des neuroblastomes. Demande à la Régie de l'assurance maladie pour payer les coûts d'un traitement expérimental à Philadelphie. Ça coûtera une fortune, sinon. Des amis lancent une fondation au nom d'Émilie; on planifie des soupers spaghettis pour financer tout ça...

Mais pendant la rechute, imaginez-vous qu'Émilie a couru dans une compétition de cross-country scolaire, au parc du Mont-Saint-Bruno. «Mais elle était fâchée, raconte Julie, car elle a terminé avant-dernière!» Émilie est une tough.

Pendant qu'Émilie fait face à la rechute, Julie et François sont de nouveau dans la spirale logistique qui aspire les parents de petits cancéreux. Mais cette fois, c'est pire. «On sait que, s'il y a rechute, dit Julie, les chances de survie sont de 10%.»

Émilie veut bien se battre. Mais les traitements, ça épuise. C'est du poison qu'on vous injecte pour tuer le mal. Elle veut se battre, mais elle est lucide. Un matin, Émilie a dit à Julie: «Les cellules attaquent de partout, maman. Cette fois, je pense que ça n'ira pas.»

«J'ai ravalé mon motton», dit Julie. Et évidemment, puisque la vie distribue la merde en gros tas, c'est tout de suite après que, en ouvrant la portière de son auto, la poignée lui est restée dans la main. Dans la spirale, il faudra trouver du temps pour aller au garage.

Le matin où je suis passé voir Émilie, Julie avait en main la lettre de la Régie pour le traitement à Philadelphie: c'est non. L'État ne paie pas de traitements expérimentaux hors du Québec.

«J'ai l'impression, m'a-t-elle dit dans la pénombre de la chambre 21 225, qu'on a manqué de temps. Qu'on a manqué de chance.»

Aujourd'hui, 15 février, c'est la Journée internationale de sensibilisation aux cancers pédiatriques. Leucan en profite pour rappeler le sort, occulté, des familles des enfants comme Émilie. En profite pour réitérer cette demande: que les parents d'un enfant cancéreux puissent bénéficier, pendant 52 semaines, du régime d'assurance emploi pour s'occuper de lui. Un minimum, non?

Aujourd'hui, Émilie Filiatrault est de retour à la maison, quelque part à Candiac, dans ses petites affaires. Elle regarde des films. Elle dort beaucoup. Il y a deux semaines, elle est allée au Centre Bell voir un match, dans la loge de la Fondation du Canadien.

J'ai parlé à Julie, hier. Les traitements? Terminés. La douleur? On essaie de la juguler avec de la morphine. Émilie est du mauvais bord des statistiques. Mais elle est là, toujours là. Une tough

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