Eh, misère. Résumons l'affaire, avant de commencer. Arcade Fire est un groupe installé à Montréal, composé d'Américains et d'une Montréalaise. Installé? Pas seulement: créé, élevé et tricoté à Montréal. Alternatif, mais plus tellement. Parmi ses fans: Bono, Bowie. Et, depuis dimanche passé, primé aux Grammy américains: album de l'année, le plus convoité, pour le magnifique The Suburbs.

Des Anglos, bien sûr. Surtout. Mais qui ont, je le répète, choisi Montréal pour créer. Pour créer en anglais. Bien sûr, j'aimerais qu'ils puissent converser en français. Ça les rendrait encore plus glorieux.

Mais ils ont tellement choisi Montréal que, sur scène, dimanche, aux Grammy, le leader du groupe, Win Butler, a dit: «I just wanna say thank you, merci, to Montréal, Québec, for taking us, and giving us a home.» Puis sa blonde, Régine Chassagne, a lancé: «Merci Montréal, merci à tout le monde au Québec!»

Et c'est ici que la controverse commence. La Presse Canadienne, pourtant pas très portée sur la controverse parce qu'une agence de presse est par définition journalistiquement beige, appelle l'organisation de la Fête nationale.

Question: «Arcade Fire pourrait-il, un jour, être invité à chanter à la Fête nationale?»

Réponse de Luc Savard, directeur général de la Fête nationale: «Oui. S'il chante en français.»

Eh, misère. Par où commencer?

Par l'évidence, d'abord: c'est une question hypothétique puisque rien n'indique qu'Arcade Fire, adulé de Berlin à Melbourne en passant par Longueuil, soit libre pour chanter prochainement au concert traditionnel du 23 juin au parc Maisonneuve.

Ensuite, disons que la réponse de M. Savard est parfaitement synchro avec le petit catéchisme nationaliste des célébrations.

Mais elle n'est absolument pas synchro avec la réalité de notre rapport avec l'anglais, à Montréal, en 2011.

J'ai pourfendu ici la position extraterrestre de Maxime Bernier au sujet de l'abolition de la loi 101. J'ai planté régulièrement les Prix Nobel du Globe and Mail qui, commentant le Québec et ses débats linguistico-identitaires, en parlent souvent comme d'un lieu qui m'est inconnu - comme de la planète Mars. Alors, note de service à mes compatriotes portant la ceinture fléchée: pas la peine de me faire des leçons de défense de la Nation.

L'anglais est-il une menace, en 2011? Probablement. C'est pourquoi des lois et des règlements seront toujours nécessaires. L'école publique en français, l'affichage, le français comme langue de travail: autant de remparts nécessaires pour éviter la louisianisation.

Mais le rapport avec l'anglais a changé. Parce que le rapport à l'Anglais, avec un grand A, a changé: l'Anglais n'est plus le boss générique et l'oppresseur d'un peuple de porteurs d'eau. L'Anglais ne nous ordonne plus, grosso merdo, to Speak White, ici. Et, s'il le fait, il peut s'attendre à se faire envoyer paître. Nous ne sommes plus en 1950.

L'anglais, c'est aussi la langue du web, des films, de la musique. Une clé autant qu'une langue. Une langue face à laquelle peu de Montréalais entretiennent des complexes. Nous ne sommes plus en 1960.

Donc, supposons qu'Arcade Fire manifeste le désir de jouer The Suburbs et Wake Up au parc Maisonneuve, disons en 2012. Le Mouvement national des Québécoises et des Québécois (qui organise la Fête nationale) dirait non?

Sérieux? On leur dirait: «Sing white?

Je sais que tout ça est hypothétique. Je sais qu'Arcade Fire est probablement pris jusqu'en 2014. Mais il y a quelque chose de consternant dans la réponse de Luc Savard. Et j'ai le même malaise quand je vois la Société Saint-Jean-Baptiste s'opposer à ce que Montréal baptise une rue du nom de Mordecai Richler.

Richler, à la fin de sa vie, a dit des horreurs sur le Québec, le PQ et les francophones. Reste que c'est un auteur majeur, géant, célébré partout dans le monde anglo-saxon, dont les romans se passaient à Montréal. S'il ne mérite pas qu'on donne son nom à une rue dans le Mile End...

Donc, résumons. La Fête nationale a peur des chansons anglaises d'Arcade Fire. Et la Société Saint-Jean-Baptiste a peur d'un auteur anglais mort et enterré.

C'est ce qui me fait capoter, chez les militants portant la ceinture fléchée: ce goddam complexe d'infériorité.

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