C'est indécent de voir Claudette Carbonneau, présidente de la CSN, faire une tournée médiatique et dire que «tout a été fait» par la centrale syndicale pour épauler les lock-outés du Journal de Montréal. C'est indécent de la voir parler du fric injecté par la CSN dans le plus long conflit médiatique de l'histoire du pays.

Parce que c'est pas une question de fric.

C'est une question d'engagement. C'est une question d'intensité.

Ce qui se dit, chez les (anciens) lock-outés? Que «Claudette» n'est pas allée à la guerre dans ce conflit de travail qui était tout autant une guerre idéologique gauche-droite, patronat-syndicats.

L'été dernier, Quebecor a congédié une poignée de ses lock-outés pour leur implication dans l'«invasion» des locaux du JdeM un an auparavant. Au nombre des employés congédiés: le président, Raynald Leblanc. En pleines négociations! Une mesure inusitée, brutale, sans pitié.

Or, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il a fallu que le Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal (STIJM) secoue les puces de la CSN pour que la centrale daigne dénoncer le geste dans un communiqué de presse!

Les syndiqués congédiés (et ceux suspendus) ont appris la nouvelle par huissier, le lundi 12 juillet en soirée. Or, quand la CSN a-t-elle fini par réagir? Le 14, en fin d'après-midi! Trente-six heures après les faits! Un autre argument dans la besace de ceux qui voient les syndicats comme des dinosaures ankylosés.

Une vraie chef syndicale serait allée, au putain de minimum, s'enchaîner à l'immeuble du Journal de Montréal dans le Plateau ou à celui de Quebecor dans le centre-ville. Une vraie chef au coeur d'un conflit idéologique aurait saisi l'occasion pour faire un geste d'éclat, ne serait-ce que pour faire savoir aux troupes qu'elle était là, à leurs côtés, dans les tranchées. Claudette Carbonneau a plutôt choisi d'ajouter quelques banalités outrées au communiqué préparé par le service de presse de la CSN. Bonjour la combativité!

***

Ils ne pouvaient pas gagner. Quand un juge de la Cour d'appel a fait un trou dans la loi anti-scabs en tranchant que si un travailleur de remplacement ne travaille pas dans l'établissement en grève ou lock-outé, la loi n'est pas violée, Quebecor avait soudainement le droit de remplir le JdeM avec les textes de son agence QMI et de ses chroniqueurs pigistes.

À partir de ce moment-là, la game devenait politique. À partir de ce moment-là, Claudette Carbonneau aurait dû partir en croisade pour une réforme urgente de la loi anti-scabs, afin de forcer le gouvernement Charest à la dépoussiérer. Mme Carbonneau a porté ce message, bien sûr. Mais sans passion, sans urgence. Elle a fait le minimum syndical requis.

C'est Michel David, dans Le Devoir, qui a évoqué l'hypothèse la plus plausible pour expliquer la timidité incompréhensible de Claudette Carbonneau: militer pour une réforme du Code du travail afin de s'adapter au XXIe siècle et aux interwebs, c'est ouvrir la porte à des réaménagements qui auraient pu indisposer les centrales syndicales...

Pour une chef syndicale qui possède juste un peu de guts, c'était le conflit idéal pour confronter le patronat débridé prôné par Pierre Karl Péladeau. La plateforme rêvée pour prôner des idées progressistes de solidarité. Pour défendre la gauche, quoi. Imaginez ce que Gérald Larose aurait fait de ce conflit-là!

M. Péladeau, lui, est allé à la guerre, avec une logique militaire et un plan préparé comme l'invasion d'un pays hostile. Il fallait avoir été dans le coma pendant le lock-out au Journal de Québec pour ne pas savoir que le Journal de Montréal pré-lock-out, avec la création de QMI et l'abondance de chroniqueurs non syndiqués, se préparait à un combat à la mort.

Je ne dis pas que, si Claudette Carbonneau avait mené ce conflit couteau entre les dents, le résultat aurait été différent. Probablement pas. Mais Mme Carbonneau a choisi de périr autrement que comme ses camarades du STIJM: sans se battre. Loin, très, très loin du champ de bataille.

La CSN a appliqué des méthodes du XXe siècle à un combat du XXIe. Au début du lock-out, Mme Carbonneau a dit à ses camarades que Rue Frontenac, quotidien lancé par les lock-outés, n'était qu'un moyen de pression comme un autre !

L'ultime crachat au visage de la CSN à la face des lock-outés a eu lieu samedi, en assemblée syndicale. Les syndiqués attendaient le résultat du vote, dans la salle du Palais des congrès. On allait le leur annoncer, incessamment, d'une seconde à l'autre...

Et la CSN a avisé les médias des résultats - offre acceptée à 64% - avant de les annoncer aux syndiqués!

Mme Carbonneau peut bien parader pour faire croire qu'elle a tout fait pour les syndiqués. C'est faux. C'est une fiction. Ce qu'elle a fait, pendant ce conflit, c'est de servir de carpette à Pierre Karl Péladeau, du début à la fin. Elle devrait faire ce qu'elle a fait depuis janvier 2009: fermer sa gueule.